Templa Mentis
leurs socques et grosses chaussures produisant un son creux sur la caillasse qui bordait le chemin. Druon ruminait ses griefs contre la mage. Ou plus exactement contre lui-même. Il avait fait preuve d’une crédulité, d’une candeur qui ne rendaient pas honneur au magnifique enseignement scientifique dispensé par son père. Il se souvint de cette phrase que Jehan Fauvel ne se lassait de répéter : « Prends l’habitude, à chaque action d’autrui, de te faire autant que possible cette question : quel but poursuit cet homme 3 ? » Il avait, non sans niaiserie, gobé la feinte amitié de la mage pour lui. Et pourtant : Léon l’avait mis en garde. Quel benêt ! Il s’en voulait et, sans doute aussi, éprouvait-il une sorte de tristesse, de déception.
Une petite voix tremblante le sortit de ses sombres pensées :
— Euh… mon maître… êtes-vous bien certain que… dame Igraine ne pourrait… que sais-je… nous lancer un vilain sort, nous… transformer en crapaud purulent ou en charogne puante ?
Flattant le col de Brise, Druon força un sourire afin de rassurer le garçonnet :
— Mieux que cela. Je suis certain qu’elle ne pourrait, ni ne voudrait. De quoi lui servirait une charogne puante ou un crapaud ? Car, vois-tu, elle n’a pas abandonné la partie, ou je la connais bien mal. Elle reviendra à la charge. D’une autre façon. J’ignore pourquoi, mais je suis sûr qu’elle a besoin de nous ou, du moins, qu’elle s’en est convaincue. Afin de récupérer la pierre.
— Mais… mais… Que pensez-vous de son… aversion pour nos églises ? N’y a-t-il pas que les maudits et suppôts de Satan qui fuient les saints lieux ?
— Superstitions que tout ceci, rétorqua Druon. Les malfaisants et les maudits s’accommodent fort bien de génuflexions devant un crucifix, de l’oiste 4 ou de la confession. Ils y voient une duplicité venimeuse qui les réjouit. S’il suffisait de pousser une vile âme dans une église pour savoir si elle a commerce avec le diable, les choses seraient aisées. Et puis… je ne serais pas autrement surpris si l’appréhension d’Igraine à pénétrer dans un édifice religieux n’avait été que simagrées.
— Que voulez-vous dire ? s’étonna Huguelin.
— Connais-tu l’histoire du loup qui charme le mouton en lui faisant accroire que le méchant chien de berger finira par l’égorger ?
— Non…
— Stupide, le mouton finit par se laisser convaincre et se sauve, échappant à la surveillance du chien.
— Et le loup le dévore ?
— Bien sûr.
— En quoi…
— L’histoire possède-t-elle un rapport avec Igraine ? Elle se fait benoîte avec nous afin de nous convaincre de sa faiblesse, de son… innocuité, en quelque sorte.
— La détesteriez-vous, mon maître ? vérifia le garçonnet.
— Non pas. On ne peut haïr un être au motif qu’il poursuit un but différent du vôtre. Toutefois, j’ai enfin compris que nous devions nous en défier. Vois-tu, Huguelin, nous sommes seuls, toi encore enfant et moi donzelle, vivant au jour le jour, sans fortune, sans appui. Je suis un fugitif et tu n’es pas encore majeur 5 . On pourrait donc nous croire faibles. Eh bien, on se tromperait. Nous sommes deux, unis par la tendresse, la confiance, le respect. L’enseignement de mon père, dont tu profites aujourd’hui, nous a décillés tous deux. Observe, analyse, compare et déduis. Je me suis un peu laissé mollir par l’affection que je me sentais pour Igraine. Une grave erreur que je ne commettrai pas deux fois. Igraine est habile manigancière. Ne l’oublions plus. Poursuivons notre route car je doute qu’elle perde notre trace.
Rasséréné, Huguelin glissa sa petite main dans celle du jeune mire. De fait, ils étaient unis par la tendresse, la confiance, le respect. De merveilleuses choses, découvertes grâce à Druon et qu’il ne laisserait jamais filer.
— Où nous rendons-nous, mon maître ?
— À Alençon, vers l’ouest cette fois.
— C’est bien loin et il commence à faire très froid, se plaignit le garçon.
— Oui-da, vingt-cinq lieues environ* 6 . En marchant bien, nous y serons dans trois ou quatre jours. Tentons de rejoindre Béthonvilliers 7 avant la nuit.
1 - Avec de jolies « rondeurs ». Le Moyen Âge était mince, en raison surtout de la faible disponibilité alimentaire. Aussi la minceur sans excès était-elle un critère de beauté féminine. Toutefois pas la maigreur,
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