Templa Mentis
plaire et inspire de la crainte. Bref, pas une gironde 1 donzelle que l’on s’entête à charmer.
— À quoi ressemblait-il ? voulut savoir Druon, un peu alarmé.
— Ma foi… à un commerçant aisé, sans plus. De taille et de carrure modestes, un visage plaisant, le cheveu raide et châtain. Il semblait… tendu, aux aguets. Pourtant… Pourtant je ne l’ai pas senti mauvais, animé de viles intentions.
— Il ne s’agit donc pas d’un nervi de l’Inquisition, commenta Druon.
— L’Inquisition ne recrute pas que des gredins ou des assassins, mon ami. Certains l’aident par crainte pour eux-mêmes ou pour secourir des proches détenus en leurs geôles.
Igraine marqua une pause avant d’admettre :
— Bah, peut-être n’est-ce qu’un conte à faire peur, peut-être me monté-je la tête. À ma décharge, cette… nasse malfaisante que je sens se resserrer autour de vous, de nous.
L’utilisation de ce pronom personnel intrigua Druon. Pire, il lui déplut au point qu’il releva :
— « Nous », madame ?
D’une voix redevenue enfantine et guillerette, Igraine confirma :
— Certes, puisque nous voici liés par une même quête, celle de la pierre rouge !
— Non pas, la détrompa le jeune mire d’un ton sec et sans appel.
La mage parut sincèrement étonnée par cette rebuffade.
— Votre pardon ?
— Votre quête consiste à l’évidence à retrouver cette pierre, et je gagerais que vous en savez davantage à son sujet qu’il ne vous sied de l’avouer…
Igraine pinça les lèvres de déplaisir mais ne protesta pas, preuve qu’il avait vu juste. Elle demeura coite.
— … Quant à la mienne, elle se limite à apprendre la vérité. Ainsi que vous l’avez souligné, le sort affreux qui échut à mon père tant aimé est intimement lié à la pierre. Toutefois, il m’importe surtout de savoir pourquoi l’évêque Foulques de Sevrin a trahi son ami de toujours, le livrant aux griffes de l’Inquisition.
Un sourire affligé étira les lèvres de la mage qui murmura :
— La peur, quoi d’autre ? L’Inquisition ne paye pas. Elle se contente d’inspirer la terreur. Arme redoutable. N’est-ce pas l’un de vos grands Latins qui déclara : « Il y a plus de choses qui nous font peur, Lucilius, que de choses qui nous font mal 2 » ? Mais, puisque vous acceptez l’idée que l’épouvantable décès de votre père et la pierre sont liés, le bon sens ne vous incite-t-il pas à la vouloir récupérer ? tenta d’argumenter la mage.
— Permettez-moi de vous retourner votre acrobatie de langue. La pierre ne compte pas, contrairement à ce qu’elle signifie !
Huguelin connaissait maintenant assez Druon pour percevoir la colère qui montait en lui. L’inflexibilité du ton de son jeune maître lui fit craindre un éclat.
— Brisons là, dame Igraine. Poursuivez votre chemin, nous rebroussons le nôtre. J’ai l’étrange sentiment d’être mené par vous, un sentiment peu agréable.
— Que voulez-vous dire ? demanda Igraine, maintenant acide.
— Vous vous servez de nous depuis notre départ du château du seigneur Béatrice, j’en jurerais. Pour une raison inconnue de moi, vous vous trouvez dans l’incapacité de découvrir ou d’accaparer vous-même la pierre rouge. Nous sommes devenus vos chasse-trésor, en quelque sorte. Un rôle qui ne me sied guère puisque je suis convaincu que vous poursuivez des desseins bien différents des nôtres. Aussi, je vous le répète : nos routes se séparent ici et maintenant.
Une implacable dureté se peignit sur le visage de la mage. Mauvaise, elle siffla :
— Méfiez-vous, mire !
— De quoi ? De qui ? Vous l’avez dit : vos pouvoirs sont amoindris. De plus, je ne les redoute pas. Enfin, et peut-être surtout, m’est venue la certitude que vous aviez infiniment plus besoin de nous que l’inverse. Vous ne tenterez donc rien qui puisse nous nuire.
— Détrompez-vous, miresse. Je puis me montrer impitoyable.
— Je n’en doute pas. Toutefois, que pourriez-vous inventer ? Une délation ? L’Inquisition ? Pour qu’ils apprennent sitôt vos origines, votre paganisme ? Allons, dame Igraine, vos menaces de parade ne nous feront pas céder à vos désirs. À Dieu, madame. Bon vent vous pousse.
Druon de Brévaux tourna les talons, entraînant Huguelin, qui n’avait pipé mot du vif débat, par l’épaule de sa tunique.
Ils marchèrent en silence durant quelques minutes,
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