Templa Mentis
masse plus sombre qui semblait suspendue à quelques pouces du sol. Un pas, un autre. Ce qu’il vit le figea.
Un haut crucifix de bois sombre avait été basculé sur le côté et appuyé contre le mur qui séparait le croisillon occidental de l’absidiole, formant une bancale croix de Saint-André 7 . Les dernières mouches d’automne 8 , au corps gris-noir, piquaient vers elle, ultime festin avant leur hibernation dans les anfractuosités qu’elles pourraient trouver. Un homme très âgé y était crucifié. Un prêtre. Sa tête avait basculé sur l’avant. Son menton, que hérissait une barbe naissante blanche, reposait sur le manche de la dague plantée dans sa gorge. Une large nappe de sang avait séché sur le devant de sa soutane.
Druon déglutit avec peine, tentant de juguler la panique qu’il sentait monter en lui, d’ordonner à son cœur emballé de s’apaiser. Observe, analyse, compare et déduis, s’admonesta-t-il. Certes, il s’agissait d’un prêtre, mais aujourd’hui ne restait de lui qu’un cadavre similaire aux autres. Ne pas se laisser aller à des effarouchements de capone 9 !
Il s’approcha encore jusqu’à frôler le martyrisé. Ses poignets et chevilles avaient été liés aux traverses de la croix à l’aide d’une épaisse corde de chanvre. Le jeune mire examina la soutane qui ne semblait porter aucune déchirure. À première vue, un seul coup avait été porté avec la dague, un coup précis, brutal et fatal. Il éprouva des difficultés à relever la tête du crucifié. La rigidité cadavérique avait opéré son œuvre. En d’autres termes, et étant entendu le froid 10 qui régnait dans l’édifice, l’homme d’Église avait trépassé au moins six heures auparavant.
Le masque dévasté du mort le fit frémir. Bouche grande ouverte, yeux écarquillés, le prêtre semblait contempler l’impensable par-delà la mort. Il remarqua alors le sillon rougeâtre qui encerclait la gorge de l’homme de Dieu. Une insoluble question se forma dans son esprit : pourquoi l’avoir étranglé et poignardé ? S’il en jugeait par la profusion de sang qui avait coulé sur le devant de la soutane, le prêtre avait rendu l’âme sous la lame de la dague. Pourquoi l’étrangler ? Il y réfléchirait plus tard, lorsque son esprit aurait recouvré son calme. Une seule urgence tourbillonnait maintenant dans l’esprit de Druon : parvenir à délier le défunt, l’allonger sur le sol dans une posture digne. Mais le prêtre était de belle taille et de forte corpulence en dépit de son âge, et jamais il n’y parviendrait seul.
Le mire recula de quelques pas dans la sinistre pénombre du chœur. La semelle de sa chaussure de gros cuir dérapa, manquant le faire choir à la renverse. Il se rétablit de justesse et se pencha. Il tâta d’un doigt prudent la large flaque sombre répandue sur les dalles de pierre. Le contact visqueux le renseigna avant même qu’il ne détaille son index. Du sang coagulé et bruni. Le prêtre avait donc été assassiné à cet endroit avant d’être traîné sur la croix. Pourquoi un tel châtiment ? En était-ce d’ailleurs un ? Druon ne vit rien qui évoquât un meurtre de fureur, de haine ou de vengeance. Son regard balaya l’autel, sa nudité. À l’évidence, tout ce qui s’y trouvait avait été dérobé. Un meurtre crapuleux, ou le vol opportuniste d’un vil personnage profitant plus tard de l’émotion et de l’agitation engendrées par la découverte du cadavre pour se remplir les poches ?
Druon descendit lentement la nef, explorant du regard les murs. Rien d’autre ne semblait avoir été subtilisé. Les œuvres représentant diverses scènes de la Passion ou de la Nativité étaient bien trop volumineuses pour qu’on puisse espérer les emporter en discrétion. Une porte était entrouverte en bas de la nef. L’ aesculapius pénétra dans la petite pièce encombrée. Aussitôt, il remarqua les rouleaux de papier tombés au sol. Il en ramassa plusieurs, les parcourant hâtivement. L’écriture en étant large et embrouillée, désordonnée, montait, puis descendait, les lettres se chevauchant parfois au point que certains mots devenaient ardus de lecture. Une main si péremptoire que la plume avait arraché des fibres du papier, en soulignant d’un double trait rageur certaines phrases :
« Bêtise déhontée que d’affirmer que les anges sont seulement les intermédiaires entre Dieu et Ses créatures humaines.
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