Templa Mentis

à voir avec son malingre et peu ragoûtant émissaire, donc.
    Elle sortit dans le petit matin, grisée par son proche futur.
    L’éternité. À elle. À jamais.
    1 - Graisse de la peau de mouton.

XIII
    Saint-Agnan-sur-Erre, novembre 1306
    L Lorsqu’ils parvinrent en fin d’après-midi aux abords de la petite bourgade que traversait l’Erre, une agitation peu commune les surprit. Au loin, sur la route menant à Berd’huis, planté au sommet d’une douce colline, s’élevait le château 1 du seigneur local dont Druon ignorait le nom.
    Ils pénétrèrent dans le village, sur leurs gardes. Les gens couraient en tous sens, s’interpellant, gesticulant. Des femmes pleuraient, avançaient, reculaient, semblant ne plus savoir que faire.
    Tassé contre le jeune mire, Huguelin n’en menait pas large.
    — Mon maître, mon maître… mais qu’est qu’y… que se passe-t-il ?
    — Je l’ignore. Cependant, m’est avis que la situation est fâcheuse. Regarde, tous les étaux sont repliés alors que none* vient de passer.
    Druon remarqua une jeune et jolie bourgeoise, s’il en jugeait par son appareillage 2 cossu et son voile fin pincé sous un touret de laine gris pâle, immobile au milieu de la place, une main plaquée sur le crucifix qui pendait sur sa gorgerette 3 de soie. Une femme se précipita vers elle en criant :
    — Dame Blandine, dame Blandine, y r’vient b’entôt ?
    — Je ne sais, ma bonne… je désespère de le voir enfin !
    Un homme à carrure d’ours de foire les rejoignit et proposa d’une voix forte et tendue :
    — À vot’ordre, j’m’en vas l’chercher.
    À l’évidence affolée, la jeune femme balbutia :
    — Euh… J’ai offert la pièce à un gamin pour… Il est parti cueillir des herbes à l’aube, je ne sais trop où… dans les bois avoisinants, bien sûr… mais… mais où ?
    — J’y vas ? insista l’homme.
    — Oui-da, Urdin. De grâce, trouvez-le.
    L’homme disparut à grandes enjambées.

    Le mire et son jeune assistant s’approchèrent alors. À son habitude, Druon força les graves de sa voix afin de le rendre plus masculine :
    — Madame, pardonnez notre discourtoisie à vous aborder ainsi… mais qu’est cet émoi ?
    Le beau regard noisette se tourna vers lui et il remarqua l’extrême pâleur de son visage. Elle expliqua avec peine :
    — Oh, monsieur… doux Jésus, Sainte Mère de Dieu… Quelle épouvante ! Quelle monstruosité ! Je… J’ai… fait quérir mon époux, qui ne se doute de rien, par un galopin… Je ne sais que faire… Nous n’avons pas de mire à Saint-Agnan… Non qu’il serait d’une quelconque utilité…
    Se rendant soudain compte qu’elle discutait avec un inconnu, et bien qu’il portât la petite tonsure 4 de nature à rassurer une dame, elle demanda d’un ton plus ferme :
    — Votre nom ?
    — Druon de Brévaux, pour vous servir. Chevalier mire itinérant, justement. Et voici Huguelin, mon jeune apprenti.
    — Un mire ?
    — Un aesculapius , madame, rectifia Huguelin, fier de son maître.
    — Que se passe-t-il ? insista Druon d’un ton d’apaisement tant la jeune femme semblait au bord des larmes ou de la pâmoison.
    Elle lui jeta un immense regard et il se demanda si elle l’avait compris. Elle ouvrit la bouche, eut un lent mouvement de tête, aucun mot ne lui venant. Elle désigna l’église de la main et murmura d’une voix hachée :
    — Me suivez, messire chevalier. Que l’enfant nous attende.
    — Mais, euh… tenta de protester l’intéressé avant qu’un froncement de sourcils de Druon ne l’interrompe.
    Il emboîta le pas à la femme. Ils gravirent les marches du porche de l’église Saint-Agnan. Elle s’immobilisa soudain et baissa la tête, déclarant très bas :
    — Je ne puis… Enfin… Pénétrez seul et attendez-vous au pire. Maudit ! Maudit pour l’éternité !
    Inquiet, Druon obtempéra. Il plongea dans la pénombre glaciale de l’église, avançant à pas lents. Un détail l’intrigua : toutes les bougies avaient été mouchées. Un autre contribua à l’étrange sensation de malaise qui l’avait envahi. Qu’était cet insistant bourdonnement qui provenait de l’ombre du chœur ? On se serait cru alentour d’une hostellerie 5 pour mouches à miel 6 . Non, pas des abeilles, pas la vibration soyeuse produite par leurs ailes. Plutôt le vrombissement hargneux et nerveux d’une légion de mouches. Il progressa encore jusqu’à distinguer une