Templa Mentis
Ils sont, à l’évidence, de surcroît, la force motrice qui meut les sphères célestes 11 ».
« Je m’insurge contre les affirmations hérétiques de certains ! Honte à eux. J’en suffoque d’indignation ! Au contraire des chérubins, les séraphins ont bien six ailes. Puisqu’ils se couvrent la face de deux, les pieds de deux autres, comment pourraient-ils voler s’ils n’en avaient pas six 12 ? Si les menteries et les balivernes avaient le pouvoir d’étouffer ceux qui les profèrent, nous ne serions plus qu’une poignée à clamer la vérité. »
Druon reposa les feuilles sur la petite table de travail. Habituelles empoignades théologiques. Quant à lui, il ignorait combien de paires d’ailes possédaient chérubins, archanges, ou séraphins et n’en dormirait pas moins bien à la nuit, l’essentiel étant qu’il sentît souvent celles de son père le frôler.
Une rapide inspection le conforta dans ses premières constatations : aucun objet précieux dans cette pièce. Volés, eux aussi ?
Il sortit de l’église. Huguelin, la mine inquiète, l’attendait au bas des marches. La vision de cette menue silhouette, perdue, abandonnée, bouleversa Druon. Dieu du ciel ! Seuls au monde, mais du moins étaient-ils deux.
Le jeune garçon se précipita vers lui.
— Oh, vous avez tardé, mon maître. J’en avais les sangs r’tour… retournés et j’ai dû me faire violence pour ne pas vous rejoindre contre votre ordre ! Qu’avez-vous vu ?
— Une abomination. Le prêtre a été assassiné. Je te raconterai.
Huguelin se signa et murmura :
— Oh, Divin Agneau, quelle monstruosité !
— Oui-da. Qui est-ce ? demanda le mire en désignant d’un geste de menton un petit groupe au milieu de la place.
— Eh ben… Bien, il y a là dame Blandine, Urdin, le forgeron que nous avions aperçu plus tôt, deux commères dont j’ignore le nom, ainsi que le sieur Gabrien Leguet, apothicaire de son état, l’époux de dame Blandine. Euh… puisque nul ne prêtait attention à moi, j’ai laissé traîner mes longues oreilles. En dépit de l’émoi qui a rendu leurs échanges un peu embrouillés, j’ai eu le sentiment que le sieur Leguet était considéré un peu… à l’instar d’un sage, d’un homme de savoir et de justesse de décision. Toutefois…
— Toutefois ?
— Euh… comment dire… il m’a semblé manquer de…
Huguelin n’eut guère le temps de trouver le mot juste. Une voix hésitante, un peu faible, les fit se tourner.
— Messire… Mon épouse m’a confié que vous exerciez l’art médical ?
Druon salua bas Gabrien Leguet, un homme de taille très modeste, presque trop mince, ses rares petits cheveux courts formant une sorte de duvet blanc hérissé sur son crâne. Le regard de myope, très doux quoique pétillant d’intelligence du vieillard d’une soixantaine d’années 13 scrutait Druon.
— Pour vous servir, monsieur.
Sans plus de façon, Gabrien Leguet passa son bras sous celui de Druon et l’entraîna un peu à l’écart en murmurant :
— L’avez-vous vu ? Père Simonet, veux-je dire ? Est-ce aussi affreux que ce que l’on me conte ?
— Si fait. Il faudrait deux hommes pour le… descendre.
— Est-il, je n’ose dire, présentable ? Enfin, de vue supportable ?
— Il a été occis sans acharnement bestial, expliqua Druon.
— Cela vous pèserait-il de me mener, messire ? Autant vous éclairer : je soigne les vivants et accompagne les agonisants. Bref, ceux qui trépassent de maladies ou d’accidents. La vue du carnage me coupe les jambes. Je le déplore. N’y voyez nulle pleutrerie de ma part. C’est que… c’est que…
— Bien que nous faisant vivre, la nature nous assassine aussi. Fort regrettable, donc, que nous y ajoutions.
Le petit homme tapa dans ses mains de soulagement en approuvant :
— Oh, que voilà magnifiquement résumée ma pensée. Me permettez-vous de réutiliser votre admirable raccourci ?
— Bien volontiers, d’autant que je n’en suis pas l’auteur. Mon défunt père, un prodigieux aesculapius , l’avait formulé bien avant moi. Et les deux hommes afin de le descendre, messire apothicaire ? Nous ne pouvons abandonner plus longtemps le père Simonet dans ce révoltant état.
— Bien sûr, bien sûr, où avais-je la tête ?
Il pivota et lança en direction du groupe :
— Mon bon Urdin, nous allons avoir besoin de ta force et de celle de ton gars.
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