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Templa Mentis

Templa Mentis

Titel: Templa Mentis Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Andrea H. Japp
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saucissier venait d’envelopper ses achats et examina ses emplettes. Aussitôt, elle récupéra un couteau dans sa bougette et coupa une des saucisses de sang pour la humer. Mauvaise, elle s’écria :
    — Mais, c’est qu’y’m’prend pour une autre, çui-ci ! (Se tournant vers la femme jeune, elle s’exclama :) Ma bonne, merci, sans vous, j’me faisais bellement gruger ! C’est coupé d’mouton et du bien vieux avec ça ! D’la carne.
    — Mais, mais… en vérité, j’vous jure sur…
    — Sur qui, coquin ? Ta mère qu’a passé au Noël échu et qui doit regretter de sa tombe de t’avoir poussé hors d’elle ? Ta grand-mère, peut-être ? Ooh, l’animal ! beugla la femme maintenant si remontée que le marchand peu scrupuleux se recula. Mais j’vas t’en emmancher une à’t’renverser la tête, mon gars ! Mon bel argent, sans mollir et sitôt, éructa-t-elle en balançant la touaille sur l’étal et en tendant la main.
    — Mais… euh… non… d’abord prouvez qu’c’est du sang d’vieux mouton !
    — Ça sent le bouc ! Qu’est pas un bélier mais qui pue autant.
    Fort réjouie, Céleste s’approcha. D’une voix suave, elle ordonna :
    — Marchand, exécute-toi, à l’instant. Tu es un menteur et un coquin. Veux-tu que je monte sur ton étal et que je pisse dessus ? J’en suis capable, sur mon âme.
    Joignant le geste à la parole, elle remonta le bas de sa cotte, dévoilant des mollets parfaits qui lui valurent des exclamations ravies de la part des messieurs et des applaudissements de celle des dames.
    — Z’êtes pas d’bons payeurs, pleurnicha le saucissier à court d’arguments.
    — Mais si, l’homme. En revanche, nous ne faisons pas complaisantes plumées, rectifia La Mouche. L’argent de cette bonne commère. À l’instant ! Gare, je monte !
    Fou de rage mais prudent, le vendeur s’exécuta. Une ovation salua l’intervention de Céleste qui, cabotine, s’inclina devant son public.
    La femme d’âge l’entraîna par le bras, déclarant d’un ton admiratif :
    — Alors ça ma belle, j’l’avais encore jamais vu. Z’auriez vraiment pissé sur son étal ?
    — Cela m’aurait fort distraite. Les bons moments sont rares et toujours à prendre.
    — Oh, m’êtes bien plaisante et j’vous paye le gorgeon, tiens ! Ça l’vaut.

    Une heure plus tard, assez imbibées, elles étaient devenues les meilleures amies de la terre et avaient beaucoup ri. Certes, Jeanne Lechais, ainsi s’appelait-elle, était de bas, veuve aisée d’un fermier de Nocé. Pourtant, il s’agissait d’une des femmes les plus drôles que Céleste eût rencontrée. Saint-Jean-la-Bruyère ne pouvant s’enorgueillir de posséder une auberge, Jeanne avait acheté deux bonnes boutilles sur le marché. Elles s’étaient installées dans une petite clairière proche de l’orée de la forêt et se passaient le vin.
    — Oh, les derniers temps, mon vieux savait plus où s’trouvait sa tête, où nichait son cul. Un mieux, s’lon moi. Toute sa vilaine existence, y’m’a dit pis qu’mon nom 5 , n’hésitant pas à m’cogner, tout comme nos gens de ferme. Aussi quand l’a tombé d’l’échelle, ça nous a pas vraiment chagrinés. D’autant que pour c’qui était d’la détente de nuit, valait mieux attendre que ce soit fini en pensant à c’que j’allais mettre dans la soupe du demain. Y’me reste un fils des cinq que j’ai mis au monde. L’est parti à Chartres.
    Elles parlèrent longtemps, Céleste s’inventant une vie d’orpheline recueillie par une tante acariâtre et ingrate qui la faisait trimer telle une serve. En ayant soupé, elle avait pris le large.
    Jeanne sembla réfléchir puis :
    — Z‘avez jolie langue et vous d’vez savoir lire et écrire. Aussi, j’m’en voudrais d’vous faire proposition infamante à vos yeux. Mais si l’travail vous effarouche pas, j’aurais besoin qu’ec qu’une comme vous pour tenir les écritures d’la ferme qu’è florissante. J’compte plus vite que j’éternue mais j’sais point écrire.
    La proposition, spontanée, émut Céleste, d’autant plus que le vin lui était monté à la tête, l’attendrissant un peu. Pour la première fois depuis d’interminables années, quelqu’un se préoccupait d’elle, cherchait à l’aider, sans en rien attendre, ou pas grand-chose, en retour.
    — Vous êtes femme de bienveillance, Jeanne. Votre offre me touche plus que je ne saurais dire. Mais

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