Templa Mentis
pique le gosier ! Ajoutes-y de quoi remplir nos panses d’affamés avant que mon compagnon ne tombe en pâmoison d’inanition.
— C’que j’ai d’mieux, messire. Bien qu’l’heure soit encore matinale.
Le petit homme rond fila tel un lapin vers la cuisine.
— Hugues, la fatigue creuse vos joues.
— Et elle rebondit les vôtres, pouffa Plisans.
— Non, je dois mes vilaines bajoues d’homme trop riche en sang à l’inaction que vous m’imposez et qui me ronge la rate d’ennui !
En dépit de son âge avancé, presque cinquante ans, de ses cheveux maintenant gris, des profondes rides de soleil qui sillonnaient son visage, Eudes de Sterlan restait la force de la nature que Plisans avait toujours connue. Pourtant, nombreux étaient ceux que cette grande carcasse rieuse, tonitruante et bonne vivante induisaient en erreur. En effet, Sterlan jouissait d’une solide et très subtile intelligence et savait se montrer fin stratège. De plus, il avait éprouvé bien moins de difficultés qu’Hugues à se glisser dans le rôle d’un laïc, à en adopter les us et le parler afin de se faire discret.
Ils attendirent d’être servis avant d’entrer dans le vif du sujet. Mains sur son ventre respectable, maître Blanc patienta, attendant de flatteurs commentaires sur son vin. Eudes s’exclama :
— Il a de la goule 4 ! Belle cuisse, aussi !
Satisfait, maître Blanc se retira.
— Si j’en juge par votre missive, mon frère, nous aurions été bernés tels des benêts ? attaqua aussitôt Plisans.
— Pas de « frère » céans, le corrigea l’homme plus âgé, en baissant la voix.
— Le pardon. J’oublie parfois. Alors ?
— Oui-da quant au résultat. Pour le reste, je n’en jurerais pas.
— Que voulez-vous dire ?
Eudes de Sterlan termina son gobelet et émit un appréciateur claquement de langue avant de se resservir.
— Madré, votre bon évêque d’Alençon ! Toutefois, je doute que sa ruse nous ait été destinée. Trois de nos frères se sont donc relayés afin de suivre son homme, ce Droet Bobert. Aux dernières nouvelles, il descendait vers Bourges, accréditant la thèse selon laquelle la donzelle Héluise Fauvel tentait de rejoindre les royaumes d’Espagne ou d’Italie.
— Et ? le poussa Hugues de Plisans maintenant inquiet.
— Et ? Je me suis fait décrire l’attitude, les allées et venues de Bobert, et les mouches ont commencé de bourdonner à mes oreilles 5 .
— De grâce, mon ami, expliquez-vous, le pria Hugues.
— Ma foi, jamais je n’ai rencontré espion aussi peu circonspect. Un doute m’a envahi et j’ai tenu à le vérifier avant de m’en ouvrir à vous. Or donc, ne voilà-t-il pas que notre précieux Droet interroge un aubergiste d’Orléans et qu’il fonce ensuite vers Bourges, aussi alerte que s’il suivait une piste et peu discret, ma foi… Aussi voyant qu’un leurre de chasse, si m’en croyez. À ma recommandation, notre frère qui le suivait a interrogé en subtilité ledit aubergiste, après lui avoir arrosé le gosier avec force gorgeons. Des dires bien enivrés, donc sincères, du tenancier, il ne fut jamais question entre eux d’une jeune donzelle brune aux yeux bleus ayant séjourné dans son établissement.
— Ah, Dieu du ciel ! Nous nous sommes faits mener depuis le début, feula Hugues de Plisans entre ses dents.
— Encore une fois, j’y vois plutôt une rouerie forgée à l’endroit de l’Inquisition. En ce cas, je ne puis qu’applaudir l’évêque et lui offrir ma bénédiction, en plus de ma gratitude.
L’épuisement altérait les facultés de compréhension de Plisans, et Eudes le lut dans son regard.
— Un peu de repos vous revigorerait, mon cher fr… ami. Nous avions deux redoutables ennemis. Nogaret et l’Inquisition. Grâce à Sevrin, cette dernière cavale après une peau de lièvre 6 . Grand bien lui fasse. Ne nous reste que le conseiller.
— Pardonnez ma lenteur, mon bon. Vous avez grande raison et, de fait, quelques heures de sommeil ne me nuiraient pas. Votre avis ?
— Tout dépend des pions qu’avance Nogaret. Il est aussi rusé qu’un renard et vous file entre les doigts à la manière d’une anguille. Pense-t-il toujours, lui aussi, que la mignonne chemine vers le sud ?
— Je le crois, je l’espère. J’ai œuvré dans ce sens, en toute bonne foi d’ailleurs puisque je m’en étais convaincu. Heureusement, vous me décillez.
— Lorsqu’on craint une
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