Templa Mentis
registre de confessions trouvé dans un logement secret de la table de travail, le seigneur bailli Louis d’Avre avait quand même tenu à inspecter la cure pour, avait-il résumé, « flairer les lieux ». Il n’avait pas jugé bon d’y convier son secrétaire, Anchier Vieil, et nul n’aurait eu l’insolence, voire le peu de sens commun, de le questionner à ce sujet. Druon, sentant le besoin de confidence de M. d’Avre et passant outre l’insistance d’Huguelin, avait donc décidé que le garçonnet ne les accompagnerait pas.
En silence, ils passèrent en revue les différentes pièces de la maisonnette. M. d’Avre se fit montrer la cache secrète de la table et décrire les lieux lorsque les trois compagnons les avaient découverts.
— Avez-vous rangé, touché quelque chose, messire mire ?
— Si fait, j’ai réuni les feuilles éparses au sol, rempli les réservoirs des esconces afin que nous puissions mieux nous éclairer. Rien d’autre.
— Hum… assoyons-nous dans la salle commune. Profitons-en pour jeter les restes du dernier repas de Jean Le Chauve avant qu’ils n’attirent la vermine ou puent à dégorger.
Druon obtempéra.
Un silence s’installa. Un silence de réflexion, ami. Le jeune mire détailla le bailli à la dérobée, le beau visage émacié, le menton volontaire sans être lourd, le regard très bleu fixé sur le manteau de la cheminée, les longues mains puissantes jointes en prière, la belle chevelure ondulée que le gris argent avait conquise. Soudain, une gêne l’envahit et il baissa les yeux, confus, honteux. Si M. d’Avre l’avait d’abord bouleversé en raison de sa ressemblance avec son père tant aimé, l’honnêteté voulait qu’Héluise admette qu’elle voyait maintenant en lui un homme. Un homme qui la troublait.
Se reprendre, aussitôt ! Sornettes sentimentales de fille ! Pour ce que Druon/Héluise en savait, le seigneur bailli était marié et père de famille, bien que la différence d’âge entre eux ne fût d’aucune importance en cette époque où l’on mariait volontiers des fillettes de treize ans avec des vieilles barbes de soixante 1 . De plus, il était de haut, elle de la roture. De plus, il était bailli et on le prétendait intime avec M. Charles de Valois. De plus, elle lui mentait depuis leur première rencontre sur sa véritable identité et les raisons de sa fuite, sans oublier son âge. De plus, elle était poursuivie par l’Inquisition. De plus, son devoir consistait avant tout à percer les raisons de l’enfermement de son père et de la Question qui lui avait été infligée. Enfin et surtout, la nature de l’attachement qu’elle se sentait pour lui ne relevait-elle pas d’une faute impie ? Ne cherchait-elle pas en lui une version… charnelle de son père ? En bref, ne s’agissait-il pas d’une impardonnable confusion pouvant s’assimiler à l’inceste 2 ? Un frisson de répulsion envers elle-même parcourut Héluise. Elle n’avait plus qu’une envie, fuir, quitter sa présence. Elle se retint au prix d’un considérable effort.
— Mire, revenez à nous, de grâce ! exigea Louis d’Avre.
Druon de Brévaux sursauta.
— Votre pardon.
— Vous rêviez ?
— Euh, non, je réfléchissais à notre affaire, mentit le jeune mire.
— Je vous repose donc la question, puisque je semble fort peu vous intéresser, ironisa le bailli. Pourquoi une croix de Saint-André ? Dieu me garde du blasphème, mais il est tout de même plus aisé de crucifier un supplicié sur une croix droite ! Il suffit de le lier d’abord au torse afin de l’immobiliser, puis aux poignets et aux chevilles. Or je ne vois aucune similitude entre saint André et le père Simonet de Bonneuil.
— Je vous y rejoins. Euh… Une délectation pour la monstruosité, pour la malfaisance, la nuisance ?
— Allons, mire, usez de votre impeccable esprit, plutôt qu’asséner balivernes dignes de gargotes ! s’emporta M. d’Avre, cinglant. En quoi croyez-vous que le supplice du Divin Agneau ait été moins épouvantable que celui d’André ? D’autant que, selon vous, après examen de la nappe de sang, le prêtre avait trépassé avant qu’on ne le lie à la croix et que sa mort fut rapide. Y voyez-vous le portrait d’un tueur qui se plaît à faire durer le calvaire de sa victime pour en jouir, de ses victimes, si l’on ajoute Jean Le Chauve, abattu, lui aussi, de manière expéditive ?
— De juste ! admit
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