Terra incognita
sera chère sera ton trépas. Je fais confiance à ma femme, Algonde, à mon fils, Petit Pierre, et à ma fille, Elora, pour m’en raconter par le détail toutes les subtilités, car pour ma part, et crois bien que je le regrette, je ne serai pas des leurs ce jour-là. Tu me crois mort ? La date de cette lettre te détrompera. Amoindri ? Pas davantage. Bien plutôt au commandement d’une caravelle qui n’attend que ta fin pour prendre le large vers un nouveau monde. Qu’importe. Tout est désormais trop tard pour toi, et je tenais à ce que tu le saches. Je ne te pardonne pas. Tu iras en enfer, Hugues de Luirieux. Malgré toute la peine que tu t’en donnas, nous ne nous y retrouverons pas. »
Algonde s’approcha pour lui mettre sous le nez la signature et la date du douze de ce mois. Il serra les dents de colère. Tout lui filait entre les doigts.
Algonde s’écarta, main dans la main avec Petit Pierre. Il gronda.
— Et cette fillette, cette Elora ? Vous auriez dû l’amener aussi, qu’on soit tous là !
— J’y suis messire, s’amusa-t-elle. Il ricana.
— Non, damoiselle, non. Elle a onze ans à peine et tu en as bien plus que ça.
Khalil s’avança d’un pas.
— Tout comme moi.
— Ou moi, s’amusa Constantin en les rejoignant. Un doute reprit Luirieux. Il cauchemardait. Ce ne pouvait être que cela. Il rêvait qu’il cauchemardait. Il maugréa.
— Puisqu’il sera dit que rien n’aura de sens…
— Ne veux-tu pas savoir qui nous sommes ? demanda encore Khalil.
Il grinça.
— Si cela vous amuse…
Enguerrand passa un bras autour des épaules de Khalil.
— Je te l’ai dit, Luirieux. Mounia m’a donné un fils. Le voici.
Luirieux ne réagit pas. Il s’attarda seulement sur Constantin.
— Et toi, alors, puisqu’il semble que tu parles aussi, d’où sors-tu ? Du croisement entre une louve et un ours ?
— Constantin est le premier fils que Djem me donna, intervint Hélène.
Contre toute attente, Hugues de Luirieux explosa de rire.
— Continuez, mes bons. Ce cauchemar tourne au ridicule et j’en garderai le meilleur souvenir, je crois.
De fait, ils se turent. Ce qu’ils voulaient lui apprendre avait été dit. Enguerrand passa derrière lui et lui délia les mains tandis que Jacques de Sassenage et Constantin rapprochaient l’écritoire.
— Signe, exigea le baron.
Hugues de Luirieux parcourut les documents du regard. Une donation. De tous ses biens à Hélène.
— Évidemment…, grimaça-t-il.
Il parapha. Signa. Juste en dessous de la date. Elle comptait trois mois de plus que l’actuelle. Il s’en troubla.
— Vous comptez me retenir captif jusque-là ?
— Ta bague, exigea Enguerrand pour seule réponse.
Comprenant qu’on lui trancherait les doigts sans hésiter, Hugues de Luirieux la fit glisser de son annulaire. La cire coula sur l’acte replié en trois, que Gersende puis Jacques de Montbel avaient déjà signé au titre de témoins.
Son sceau s’enfonça, scellant avec le pli l’anéantissement de toutes ses manigances.
Et sa fin.
66
Tandis que Briseur lui rattachait les mains au dos, Jacques de Sassenage sortit son poignard. Luirieux attendit, espéra le coup. À son grand regret, il ne vint pas.
Au contraire, tranchant ses liens, le baron lui libéra les jambes.
— Debout, ordonna Enguerrand.
Hugues de Luirieux obtempéra, prit la porte que Mounia venait d’ouvrir et grimpa l’escalier à sa suite.
— Entre, exigea Mounia, s’effaçant déjà dans l’écartement de la porte de la chambre du donjon.
Hugues de Luirieux y retrouva ses compagnons allongés à même le sol, bâillonnés et ligotés. Leurs yeux grands ouverts trahissaient une légitime angoisse.
— Je me demandais où ils étaient passés, trouva le courage de plaisanter Hugues de Luirieux tandis que la communauté s’enfilait dans la pièce.
Pendant que Présine, la dernière à y pénétrer, la rebouclait d’un tour de clef, Algonde fit jouer l’œil de Mélusine au manteau de la cheminée, libérant le passage secret.
Luirieux marqua la surprise. Qu’avaient-ils inventé ? Il ne lui fallait plus compter sur une réaction de violence spontanée, à présent. Même Mounia paraissait beaucoup s’amuser, preuve que le contraire l’attendait. Il serra les dents. Non, décidément, il n’aimait pas les vengeances froides, c’étaient les pires, les plus tordues et souvent les plus douloureuses.
Se désintéressant de lui,
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