Terra incognita
femme fée qui les avait rassemblés.
Lorsque la lumière bleue irradia d’elle, il n’en fut pas surpris. Pas davantage lorsqu’elle grandit, grandit, grandit encore jusqu’à les envelopper tous. Alors lui aussi s’avança dans le cercle, bouleversé de l’amour qu’il dispensait et qui offrait le plus beau des baptêmes aux nouveau-nées.
Ensuite seulement, la lumière décroissant, ils prirent conscience les uns des autres. Petit Pierre tomba dans les bras de Jean en premier puis de Bertille, de Celma, de Briseur, de Mayeul et enfin de La Malice, étourdi de n’avoir soudain plus de douleur ou de séquelles de ses blessures. Hélène pareillement remise allait des uns aux autres qui s’ébaudissaient devant les petiotes, soudain plus rosées.
En quelques minutes, succédant au silence, le brouhaha des rires, des voix et des larmes implosa dans la pièce. Tous voulaient expliquer sans y parvenir vraiment, répondre sans trouver les mots, comprendre mais surtout, surtout, se retrouver.
Consciente que rien ne les ferait taire, Elora attira Algonde au-dehors. Les écharpes de brume voilaient encore la lune. La chaleur n’était pas tombée mais il n’y aurait pas d’orage, nota Algonde comme si tout avait de l’importance pour qu’elle imprime cette nuit en elle, comme la plus belle depuis longtemps.
— Il est vivant, annonça Elora derrière elle. Algonde se retourna, la trouva adossée à la porte qu’elle venait de refermer.
— Que dis-tu ?
— Il est vivant, maman. Papa est vivant.
Algonde sentit plus encore son cœur s’embraser. De nouveau des larmes de joie lui piquèrent les yeux.
— Merci, murmura-t-elle. J’ai tellement espéré. Sais-tu où… ?
— C’est une longue histoire, la coupa Elora.
— J’ai tout le temps, nous avons tout le temps désormais.
Elora sortit une lettre de son gilet, la lui remit puis l’embrassa sur la joue avant de rentrer.
Algonde demeura un instant sur le seuil, à retourner la missive entre ses doigts avant de descendre l’escalier et de s’enfermer dans les appartements de Gersende et Janisse. Elle enflamma une bougie puis décacheta le pli. Sa main tremblait.
« Mon amour, mon épousée,
Algonde,
Tant de nuits et de jours. Tant d’années. Je voudrais être là, à tes côtés, à l’heure où tu liras ces lignes, tomber à tes genoux et te demander pardon. Je le voudrais de tout mon cœur, de toute mon âme, mais Elora te le racontera, moi seul ai pouvoir sur ce navire qui t’attend, qui vous attend tous. Mes matelots nous l’auraient ravi si je l’avais quitté. Il me faudra donc patienter, encore, pour te voir, respirer ton souffle, m’imprégner de ta chaleur en espérant qu’un jour tu consentes à oublier tout le mal que je t’ai fait. Par trois fois je t’ai abandonnée. La dernière n’était pas de mon fait. J’étais mort. Un éclair m’a ressuscité au moment où un pirate passait sur l’Isère. La main de Dieu, le pouvoir des Anciens, je l’ignore, mais lorsque cet homme m’emmena, j’étais inconscient, puis sans mémoire. Elora me l’a rendue et, avec elle, la vérité. Elle tient en quelques mots, Algonde. Je t’aime. Je t’aime, ma bécaroïlle. Je t’aime.
Reviens-moi vite, s’il te plaît. Je ne te renierai plus. Jamais. »
Algonde n’était pas la seule à être bouleversée. Au-dessus d’elle, dans la chambre, Petit Pierre, comme Hélène, écoutait Celma raconter leur angoisse à la découverte de La Malice transpercé de flèches, puis devant la fièvre qui l’avait abattu trois jours durant. La décision, au quatrième, de rallier la cache que Mathieu leur avait indiquée en dévalant le parvis de l’église collégiale. Leur progression, difficile, La Malice sur les épaules de Briseur. Les haltes, fréquentes, puis l’attente dans les monts du Vercors. Le choix, pour finir, de s’en remettre à Algonde lorsque les runes l’avaient vu, lui, sous le joug de Luirieux. Sans son père.
C’est ainsi que Petit Pierre apprit leur attente dans la grotte, puis leur certitude que Mathieu était toujours vivant.
Elora le confirma comme elle l’avait confirmé à sa mère, qui, berçant la lettre sur son cœur à l’étage au-dessous, pleurait encore, mais cette fois de tout ce bonheur qu’on lui rendait.
Cette nuit-là, à Sassenage, tandis que dans les cachots trois hommes rêvaient qu’ils festoyaient, un autre, manquant pourtant, avait retrouvé tous les siens
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