Terra incognita
repas et les tables avaient été dressées sur la caravelle que commandait Mathieu, rebaptisée La Reine de lumière depuis leur départ.
Leur journée à tous avait été fructueuse. Briseur, La Malice et le baron avaient fait provision d’eau potable ; les enfants, une pêche miraculeuse. Aidée de Catarina, Présine avait achevé de recoudre une des voiles ; quant aux autres, ils avaient vaqué aux ordres de Janisse.
Seul Bouba avait été insupportable, rageur d’avoir été abandonné par Khalil et Nycola à la fois, quand Noiraud, harassé de jeux, grognait à ses tentatives pour l’arracher au sommeil.
Voir arriver cette chevauchée ajouta donc à leur joie à tous. Pour un peu, à l’exception de Présine, vigilante, ils en auraient oublié Marthe. Durant quelques minutes, ils voulurent tous descendre à terre pour approcher la licorne. Mais Elora lui rendit sa liberté, comme aux autres montures, sitôt la grève touchée. La nuit tombait et elle sentait grandir la menace du bestiaire maléfique de l’île dont Présine leur avait confirmé la présence dans les sous-sols du vieux castel.
Mathieu remonta à bord le premier, annonçant haut et fort qu’ils rapportaient le trésor de Merlin.
La licorne perdit aussitôt de son attrait, sinon pour les enfants qui, grimpés dans la mâture, en suivirent, le plus loin possible, le retour au milieu des terres.
Avant que de montrer la table de cristal, il avait été entendu entre Enguerrand et Mathieu qu’ils mouilleraient, comme la nuit précédente, un peu plus en retrait des côtes, en plein cœur de la baie.
Tandis que Nycola s’en allait déposer son fardeau dans la petite cabine, à la place de la carte de Merlin, désormais inutile, les deux commandants, chacun à leur poste, firent lever l’ancre et les voiles.
Les deux caravelles prirent le vent sans difficulté, et s’immobilisèrent, côte à côte, au beau milieu d’un prodigieux banc de poissons, à une distance suffisante pour être hors d’atteinte, puisque rien, la veille, n’était venu troubler le sommeil de la communauté.
Alors seulement, laissant Le Chant des sorcières à la garde des mercenaires d’Enguerrand, chaque membre de la communauté put venir dans la cabine, seul ou accompagné, et examiner à sa guise l’objet tant convoité.
Le repas qui suivit les réunit tous autour du sujet, dans le même émerveillement face aux étonnants changements de couleur du cristal, qui du bleu le plus pur variait au noir le plus sombre selon que la lumière le caressait de tel ou tel côté.
Puis, les bontés de Janisse aidant, ils s’abandonnèrent à sa cuisine, sur le pont illuminé par les lampes tempête et une lune ronde. Engoncés dans leurs pelisses, ils dégustèrent des plats de poisson plus délicieux les uns que les autres, agrémentés de fruits et de légumes, s’ébaubirent au récit de la rencontre avec le dragon, rirent de la plongée des deux femmes dans la boue, donnèrent leur sentiment, bref, devisèrent comme à l’accoutumée et sans doute plus encore.
Elora attendit que tous soient repus et réchauffés de vin pour annoncer qu’elle se rendrait au castel dès le lendemain, se mesurer à Marthe.
Son annonce faucha rires et conversations.
— Nous lèverons l’ancre dès mon retour, ajouta-t-elle en regardant Présine qui se tordait les mains depuis quelques minutes.
La fée hocha la tête. Elle était prête. Autant que cela se pouvait. Elora enchaîna :
— Mais, auparavant, Présine a une histoire à vous raconter. Une histoire tragique. Elle nous concerne tous. Quelle que soit votre réaction, sachez que j’ai accepté d’être complice de son secret. Pour une seule raison. Ce qui fut ne peut être défait. Sinon par nous tous. Mais plus encore parce que j’ai confiance en cet amour qui de tout temps l’a guidée.
Elora se rassit.
Et Présine, ployant sous les regards, se mit à parler.
72
C’était au commencement des temps. Avalon venait de naître et Merlin avait été envoyé sur Terre en mission de reconnaissance. Il emmenait avec lui huit des Sages, hommes ou femmes qui s’accouplèrent aux primitifs, dans le dessein de créer une race intermédiaire qui permettrait leur évolution. Ainsi naquirent les fées. L’expérience se montrant concluante, il fut décidé de la renouveler, mais, cette fois, sans que les Anciens soient impliqués. Les fées s’accouplèrent à leur tour, puis leur fille et leur fille,
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