Terra incognita

jusqu’à la quatrième génération.
    Ce fut une de trop.
    Dégénérés, les pouvoirs des Anciens avaient donné naissance à des créatures étranges, qui, elles-mêmes, s’accouplèrent à des animaux de la Terre, créant un bestiaire effrayant de noirceur ou simplement d’allure.
    Puisque le contrôle leur avait échappé, les Anciens chargèrent Merlin de veiller à ce que les fées restent en Avalon et n’en sortent plus jamais. Dans le même temps, il reçut l’ordre de former des prêtresses d’une lignée humaine mais en qui serait distillé le savoir des Hautes Terres. Afin de ne pas recommencer les mêmes erreurs, il fut décidé qu’à titre d’essai cette lignée ne s’implanterait qu’en les îles voisines d’Avalon.
    Ainsi fut fait.
    Jusqu’à ce que Merlin ramène un assistant sur l’île. Le jeune Apophis. D’allure agréable, il était d’une intelligence vive et d’une bonté sans pareille. Merlin le gardait au secret, car il travaillait, depuis Avalon, à la création du benben, censé ouvrir des portes à travers l’espace et le temps, ce, à volonté.
    Durant de longs mois, Présine ne sut rien de l’existence d’Apophis, jusqu’à ce qu’elle accroche son regard derrière la croisée et en soit, comme lui, bouleversée. Très vite, ils prirent l’habitude de se voir, à la dérobée, puis de profiter des absences, trop courtes, de Merlin pour s’approcher et finalement se découvrir si puissamment liés l’un à l’autre qu’aucune loi ne pourrait s’y opposer.
    Bien évidemment, Merlin finit par découvrir la vérité, mais, devant un amour si pur, il décida de plaider en leur faveur auprès du conseil des Sages, lorsqu’il remonterait leur faire la démonstration du fonctionnement du benben.
    Hélas, les Anciens furent catégoriques dans leur refus, malgré les suppliques d’Apophis à qui ils interdirent de retourner sur Terre.
    C’est dans les heures qui suivirent que survint le drame. Ce ne fut pas le benben lui-même qui fut la cause de l’accident ce jour-là, mais la tourmente qui habitait le cœur d’Apophis, à l’idée de ne jamais revoir celle qu’il aimait. Il commit une erreur en insérant le benben au-dessus du flux énergétique, et en paya le prix. Son âme, son apparence devinrent à l’image de sa colère, de sa rancœur envers les Anciens, ces êtres, trop purs, trop parfaits, emplis de sagesse, certes, mais dénués d’amour.
    L’être monstrueux qu’ils avaient craint de créer par mésalliance était né de leur aveuglement.
    Grâce à leurs pouvoirs, ils l’isolèrent mais rien n’y fit. Chaque jour davantage, rendu fou de douleur et de désespoir, Apophis absorbait l’énergie des Hautes Terres et gagnait en puissance dans un esprit de vengeance.
    Les Anciens siégèrent en grand conseil, et Apophis fut banni sur la Terre d’en bas où comme ils l’avaient prévu, ses pouvoirs déclinèrent.
    Se réfugiant en des profondeurs sous-marines que nul ne put percer pour le détruire, Apophis ne fut plus qu’un homme serpent condamné à errer.
    La première fois qu’il revit Présine occupée à ramasser des coquillages sur le rivage d’Avalon, il sentit son cœur s’émietter. Plus encore lorsque, l’apercevant, elle se mit à courir dans les vagues, malgré la froideur de l’onde, en hurlant son nom.
    Il n’eut pas le courage de la confronter avec son corps reptilien, même si, apaisés, ses traits avaient retrouvé leur beauté.
    Il plongea.
    Alors Présine revint toquer à la porte de Merlin qui lui avait annoncé sa mort au moment de l’expérience et exigea de savoir ce qui s’était réellement passé.
    Elle n’obtint que de se voir interdire l’accès à la plage et d’être étroitement surveillée.
    Des siècles passèrent ainsi sans que Présine oublie Apophis et Apophis Présine. Sans qu’ils puissent se voir tout en sachant l’un comme l’autre leur proximité.
    Et puis, un matin, l’île d’Avalon se vit bouleversée.
    Seth Morlat avait dérobé la table de cristal et les flacons pyramides.
    Présine profita de l’effarement de tous pour courir jusqu’à la grève. Elle ne fut pas longue à voir Apophis émerger. Craignant qu’il ne s’enfuie encore, elle demeura en lisière de l’eau et hurla la nouvelle. Comme elle s’en doutait, Apophis en fut satisfait. Seth Morlat était son meilleur ami. Apophis ne douta pas que son geste avait été dicté par la volonté de lui venir en aide, d’autant