Terra incognita
veinée de noir et de bleu selon qu’elle accrochait ou non la lumière, soulevant des réactions diverses mais une même émotion.
La copie réalisée par Merlin de la table de cristal des Hautes Terres.
— Je l’imaginais plus grande, nota Khalil.
— Et moi plus translucide, surtout. À l’exception de l’emplacement des flacons, on voit à peine les tracés… ou plutôt les canaux, s’intrigua Mounia en passant un doigt sur les sillons.
— C’est la même roche que la double aiguille pyramidale de ton bijou, souleva Nycola, ramenant leur regard à tous vers Elora.
Elle leur sourit.
— La même aussi que le benben, si j’en crois la mémoire de Merlin. Voilà pourquoi ce cristal est si rare. Il ne ressemble à rien de connu, ni par son allure ni par ses propriétés. Allons, à présent, alourdis par cette charge, nous irons moins vite, sans compter que la nuit tombe plus tôt ici que chez nous, réveillant les ombres maléfiques demeurées sur l’île.
Ils frissonnèrent d’une même angoisse.
Nycola referma les battants de cuir puis noua solidement les lacets.
— Nous la porterons à tour de rôle, décida Constantin en prêtant sa main à Nycola pour l’aider à se redresser, son fardeau remis aux épaules.
— Ma foi, ce ne sera pas de refus, accepta-t-il en se mettant debout.
Déjà, Elora ouvrait la marche. Lina enroula ses doigts à ceux de Nycola et vint planter ses yeux dans les siens.
— Je sais que l’endroit n’est pas le mieux choisi, mais j’ai cru mourir d’effroi quand le dragon s’est penché sur toi… Je…
— Moi aussi je t’aime, la coupa-t-il d’un baiser furtif sur les lèvres.
La Sarde s’embrasa sous son regard brûlant.
— C’est pour cela que je n’ai pas un seul instant douté qu’il me laisserait passer, ajouta-t-il avant de l’entraîner, laissant Constantin, qui les attendait, former leur arrière-garde.
Ils avancèrent une bonne heure avant de s’accorder une pause au pied d’une colline, près d’une source repérée à l’aller et qui jaillissait, limpide, entre deux roches. La faim les tenaillait tous et, si le vent agaçait la plaine, leur battant les oreilles de son sifflet glacial, le ciel se dégageait peu à peu. Ils s’installèrent sur la mousse qui recouvrait les affleurements de roche, près de quelques arbustes rabougris, posèrent la table sur un dégagement plat, puis ouvrirent le sac que Janisse leur avait donné.
Rien n’avait vaincu le talent du cuisinier. Ni le mal de mer, ni les rationnements entre deux escales, ni leur obstination à ne croiser que des bancs de morues ces derniers temps. Il trouvait toujours moyen de les régaler.
Le poisson qu’il avait réussi à fumer puis à rouler dans un mélange d’épices les ravit sitôt la première bouchée. Les yeux suivant les envolées des centaines d’oiseaux qui avaient colonisé l’île, ils le dégustèrent en silence, s’imprégnant d’un bonheur simple et d’autant plus apprécié que la menace de Marthe le rendait précaire.
Une fois rassasiés, ils remplirent leurs gourdes, et allaient repartir lorsqu’un hennissement leur fit dresser la tête. Un autre suivit, dans un bruit de galop.
Khalil et Nycola échangèrent un regard de convoitise. Mais ce fut Constantin qui les devança.
— Voilà qui ferait notre affaire, ne trouvez-vous pas ?
— Trop sauvages, vous n’en aurez aucun et perdrez notre temps, voulut les décourager Enguerrand.
La horde traversait le marais dans un soulèvement de gouttelettes, vraisemblablement avide du point d’eau qu’ils occupaient.
— S’ils piétinent la table, elle est perdue, gémit Mounia en se précipitant déjà.
Elora arrêta son geste, un sourire confiant aux lèvres.
— Aucun danger. C’est moi qui les ai appelés.
De fait, la cavalcade avait cessé, laissant place à un sifflement admiratif dans les bouches masculines.
Rassurée, Mounia se retourna.
Quatre chevaux s’étaient détachés du groupe pour s’avancer vers eux, paisibles, le front bas, mais là ne fut pas sa surprise. Ils encadraient, telle une reine, une bête aussi immaculée que le dragon et tout aussi légendaire.
Se détachant de Mounia, Elora se dirigea vers elle et ouvrit sa paume. Alors, inclinant cette torsade qui lui piquait le front, juste entre ses deux yeux, la licorne y plongea ses naseaux.
Pour leur plus grande joie.
*
Selon les ordres de Présine, Janisse avait préparé un succulent
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