Terra incognita

d’autrefois.
    Une larme perla à ses yeux, passa le bord pour devenir diamant à ses joues.
    — Je te crois, dit-elle.
    Irradiée d’une lumière aussi pure que celle d’Elora, Plantine accepta la main de Constantin pour se redresser à son tour, laissant tomber la gemme au milieu des éclats de béryl repris d’un bleu pur.
    Elle refusa pourtant le mantel dont voulut la couvrir l’Égyptienne.
    — Plus tard. Ce n’est pas terminé.
    Plantine leva la tête. La Harpie approchait à tire-d’aile. Pour la tuer.
    Ils le comprirent en un éclair.
    — Je l’ai lâchée trop tôt, s’accusa Mounia en se mordant la lèvre. J’espère qu’elle n’aura pas fait trop de dégâts.
    — Je les réparerai. Tous, affirma Plantine.
    — Mais pourquoi ? s’insurgea Khalil. Vous ne pouviez pas la laisser simplement dans ses fers ?
    Plantine lui sourit avec tristesse.
    — Tôt ou tard elle en serait sortie, comme les autres, libérée par des colons ou par la seule érosion du climat. Crois-moi, Khalil, c’était le seul moyen pour protéger les enfants. Pour protéger ce monde. Le seul.
    Elle recula vers le trône, dardant sur eux un regard apaisé qui les poignarda.
    Pour seule réponse, Mounia ramassa en hâte son arc et son carquois abandonnés dans un angle de la pièce et les tendit à Elora.
    La Harpie, dans un cri rauque et détestable, était déjà là.

76
     
    Sur le navire rendu au calme, ils s’étaient tous réunis sur le pont, autour de Mathieu que Lina venait d’achever de bander et du baron qui se tordait, à terre, dans un bain de sang, une moitié du visage emportée.
    Celma, Présine et même Nycola étaient à son chevet mais, malgré tout leur savoir, ils ne parvenaient pas à le soulager. Les griffes de la bête avaient pénétré profondément les chairs, entaillant les os, arrachant le nez, la joue et les yeux par le travers, mettant la dentition à nu. C’était miracle qu’il soit encore en vie. Et s’il le restait, dans un tel état qu’il s’achèverait lui-même, songeait Sidonie, qui lui pressait la main, désespérée.
    Déjà, d’une voix mourante, et à peine compréhensible du fait des muscles sectionnés, Jacques de Sassenage réclamait une lame pour en terminer.
    Mathieu le leur confirma dans un rictus douloureux.
    — Malgré tes soins, Celma, je le sens, la plaie continue de se creuser, comme si de l’huile brûlante y avait été versée. Je ne vaudrai pas mieux que lui ou Briseur dans quelques heures, lorsque la bête reviendra.
    C’est alors qu’une voix chantante s’éleva par-delà ce bloc humain.
    — Elle ne reviendra pas. La Harpie est morte. Toutes les Harpies sont mortes.
    Tous se retournèrent, aussitôt frappés de lumière et de beauté, mais plus encore de soulagement en découvrant Elora, Mounia, Constantin et Khalil aux côtés d’une inconnue. Trop pris par l’agonie du baron, ils ne les avaient pas entendus remonter à bord, mais pas un, sur l’instant, ne douta que la reine de lumière vaincrait ce mal-là comme elle avait vaincu les autres.
    Laissant Celma renouveler la compresse d’eau de girofle sur les chairs déchiquetées, Présine, le cœur bondissant dans sa poitrine, se releva pour voir la communauté s’écarter et sa fille lui apparaître enfin.
    Une tendresse infinie, puisée dans tous ces siècles de regret, inonda le regard de Présine, effaçant la dernière appréhension de Plantine. Elles s’étreignirent quelques secondes, dans un silence interrogateur, avant qu’un nouveau hurlement retentisse.
    Suivie par Elora, Plantine vint s’accroupir près du baron, face à Sidonie en larmes et aux guérisseuses.
    Elle leva la compresse, pour jauger de l’ampleur de sa tâche, puis planta ses yeux chaleureux dans ceux de la devineresse qui la fixait avec un mélange de suspicion et de confiance, étonnée qu’Elora n’intervienne pas.
    — Tu as fait ce que tu devais, Celma. Mais il n’y a d’autre antidote au venin des Harpies que mes doigts.
    S’arrachant à sa détresse, Sidonie trembla. Cette intonation derrière la fluidité de la voix.
    — Marthe. Tu es Marthe, n’est-ce pas ?
    Un mouvement de recul s’opéra dans la communauté. Était-ce bien là la créature maléfique qu’on leur avait décrite ? pensaient ceux qui ne la connaissaient pas. Les autres cherchaient la vérité dans l’attitude sereine d’Elora, à ses côtés. Plantine hésita une seconde, puis, comprenant qu’elle ne pourrait agir