Terra incognita
au-delà des apparences. Ce jourd’hui, elle admettait sa négligence au moment du drame, dix années plus tôt. Elle aurait dû entendre le cri de Mounia au lieu de celui de l’eunuque. Chercher des ossements dans la cage des tigres, autres que ceux des petits animaux qu’on leur jetait. Elle aurait dû s’interroger sur le départ précipité des Bohémiens.
Mounia avait balayé ses remords d’un geste agacé de la main. À quoi bon ?
L’Égyptienne avait entendu Nycola évoquer ce sentiment puissant qui l’avait poussé à sacrifier le pécule des Bohémiens pour racheter Khalil, sa quête de la reine de lumière. La rencontre entre Elora et Khalil. Elle avait écouté Elora lui raconter sa lignée, le tourment des siens si intimement liés à Enguerrand, la prophétie des Hautes Terres, sa propre mission de réunir la communauté destinée à y rapporter la carte et les flacons pyramides, Mélusine, Présine, Marthe…
Marthe dont Mounia gardait un vague souvenir. Celui d’une ombre penchée au-dessus d’elle alors qu’elle était à l’agonie. Une ombre qui lui avait demandé de vivre, l’assurant que son fils approchait.
Une ombre dont l’attitude généreuse et d’autant plus incompréhensible tourmentait Elora.
Oui, Mounia s’était tant imprégnée de leur histoire qui donnait un prolongement à la sienne qu’elle avait compris, admis, que ce qui devait être avait été. Bien au-delà des désirs, des espérances ou des renoncements de chacun. Elle avait pardonné, renoncé à sa vengeance. La liberté promise lui suffisait. Retrouver Enguerrand comme elle avait retrouvé Khalil lui suffisait.
Autant que de savoir qu’ensemble, tous ensemble, ils allaient s’acheminer vers les réponses que son père et sa mère, défunts, avaient espérées.
Lors, chaque jour qui passait était une victoire sur hier.
Bouba la distrayait par ses grimaces, Khalil par le récit itinérant de son enfance. Le lien qui s’était noué entre eux aux portes de la mort avait renforcé celui, instinctif, de la naissance.
Le temps du bonheur avait succédé aux larmes à Istanbul.
Lorsque vint le moment pour eux de quitter la ville, la Khanoum jura d’emporter leur secret dans la tombe. Ensuite, ajoutant aux lettres de change signées du baron Jacques qu’Elora n’avait pas encore utilisées, elle leur remit une belle somme pour mener à bien leur équipée.
Mounia la serra sur son cœur, Khalil de même, puis Elora et Nycola, d’un même élan.
Tous savaient qu’ils ne se reverraient pas.
*
Ils s’embarquèrent pour l’Égypte ce 26 mai. Mounia avait insisté pour se rendre à Héliopolis, avant qu’ils ne remontent le Nil jusqu’aux portes du désert où Elora devait trouver le secret de la clef que Nycola lui avait remise.
Elora le lui avait accordé. Mounia voulait revoir la tombe d’Osiris que son père avait découverte, mais plus encore, faire le deuil des siens à l’endroit même où Hugues de Luirieux les avait fauchés.
Une autre raison l’y poussait. Quoi que lui ait assuré Elora des sentiments d’Enguerrand à son sujet, elle voulait comprendre pourquoi Enguerrand ne l’avait pas recherchée.
Si elle avait pu le voir, en cet instant où le navire quittait le quai, elle n’aurait pas douté une seule seconde de l’amour, immense, qu’il lui portait. Et du désir de vengeance qui le rongeait.
*
L’inquiétude de Gersende étant allée grandissant, elle avait fini par la confier à Enguerrand et à Algonde. Hélène tardait à arriver et Sidonie n’avait pas davantage de nouvelles. Lors, n’écoutant que sa propre intuition, Enguerrand s’était mis en branle pour se renseigner auprès des auberges et relais qui jalonnaient la grand-route vers l’Italie. Il ne fut pas long à apprendre qu’une dame de belle prestance s’était arrêtée dans plusieurs d’entre eux. À peine un mois plus tôt. N’ayant jamais vu de carrosse avant celui qui la menait, les tenanciers en avaient tous gardé un fort souvenir. Enguerrand reconstitua sans peine l’itinéraire d’Hélène jusqu’aux abords de Bressieux, où l’intendant, quant à lui, affirma n’avoir rien vu venir. Commença alors pour le chevalier une longue quête durant laquelle il interrogea autant les paysans que les hommes d’Église. Pour tomber finalement sur une publication de bans.
Le sang d’Enguerrand n’avait fait qu’un tour. Luirieux. Encore et toujours Luirieux ! Se remettant en selle, il
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