Terra incognita
réhabilités avait mis du baume sur ses plaies. Mais pas autant en vérité que de mettre la main sur Hélène, de lire la peur sur son visage.
La Malice dans son sillage, il passa l’endroit où il l’avait enlevée.
Il s’en voulait à présent. De n’avoir pas compris qu’elle avait seulement craint de perdre l’enfant qu’elle avait élevé. Pas compris qu’elle avait quitté Bressieux après le drame de la mort d’Algonde pour protéger Elora contre Marthe avant d’y revenir et de tenir la fillette loin des mondanités.
Mathieu s’en voulait, oui, d’avoir laissé la haine l’envahir, le rendre aveugle toutes ces années. Et d’être passé du coup à côté de l’essentiel.
Mais il n’était pas trop tard. Non, se rengorgeait-il dans le halo de poussière qu’il soulevait du chemin forestier. Pas trop tard. Il ne laisserait pas Luirieux mettre la main sur Elora. User d’elle peut-être. Un instant il se demanda comment Enguerrand avait pu savoir, pourquoi il avait risqué son nom et sa renommée pour empêcher ces épousailles. Il avait plus à perdre à le prévenir qu’à se taire. Une fois encore il s’en voulut de n’avoir pas accepté sa main tendue, son amitié. Mais quoi ! n’était-il pas dans un monde où les vilains doivent obéissance, où les seigneurs les utilisent mais ne les côtoient jamais ?
Un pincement de cœur le reprit à la vue d’un épervier qui tournoyait. Algonde. C’était son Algonde qui avait changé la donne. Parce qu’elle était née de féerie, elle les avait élevés tous deux au regard de leurs maîtres. Et lui, sottement, par désespoir autant que par jalousie, il avait tout gâché. Il ne devrait plus jamais laisser la haine l’emporter. Il n’était pas fait pour ça en vérité. Non. Il n’était pas fait pour ça.
— Elora, murmura-t-il avec tendresse.
Elle était si petiote la dernière fois qu’il l’avait embrassée. À peine un nourrisson, mais si puissante déjà. Cette magie en laquelle il refusait alors de croire, c’était ce petit corps de lumière qui la lui avait révélée. Possédait-elle les pouvoirs de sa mère ? Si c’était le cas, alors elle savait depuis toujours qu’il ne l’avait pas abandonnée. Elle savait qu’il valait mieux que ce qu’il était.
Les hautes tours apparurent dans une trouée.
Il leva le nez au vent qui s’était mis à souffler, courbant les branches verdies par le printemps, hurla :
— Je te reviens, petite fée !
Comme un défi à tout ce temps gâché.
Un défi qu’il était prêt à relever.
*
Quelques minutes plus tard, alors qu’ils quittaient le couvert des bois, le château de Bressieux se dévoila dans son entier, en tous points semblable au souvenir que Mathieu en avait gardé. Il craignit un instant d’être refoulé à la porte comme un vulgaire mendiant avant de se rappeler qu’ils montaient, La Malice et lui, des chevaux habillés aux couleurs du comte de Clermont. Le meilleur des laissez-passer.
Il tira sur le mors pour ralentir son allure, indiquant d’un geste à son complice d’en faire autant.
Lorsqu’ils parvinrent au trot devant le corps de garde, ils avaient la dignité de deux émissaires.
— Nous avons une lettre à remettre, déclara Mathieu, par-dessus les battements désordonnés de son cœur.
— Leurs seigneuries sont en voyage, répondit l’homme en bâillant.
— Il se trouvera bien quelqu’un pour la lire. Le sire de Clermont qui l’a rédigée attend réponse urgente.
L’homme s’attarda sur leurs mines, puis sur leurs destriers avant de dégager sa guisarme et de leur autoriser le passage sous la voûte de pierre.
Ils pénétrèrent dans la première cour, puis dans la seconde, mirent pied à terre devant les écuries. Rien n’avait changé en dix ans, pas même ces rires qui leur parvenaient depuis l’arrière de la bâtisse, entrecoupés des cris d’un petit goret. Une pique de plus dans la cuirasse en friche de Mathieu. Combien de fois avait-il entendu pareille envolée dans la bouche de son fils lorsque ce dernier coursait les cochons de lait à Choranche. Son jeu préféré. Malgré le danger de la truie en colère.
Refusant de se laisser gâter cet instant si précieux, Mathieu confia sa monture à un palefrenier, puis tapota l’épaule de La Malice qui avait fait de même.
— Trois coups longs si danger.
Son complice hocha la tête. L’un comme l’autre avaient bien conscience que le temps leur
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