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Terra incognita

Terra incognita

Titel: Terra incognita Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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bosse…
    Mathieu sentit sa gorge se nouer. Pas le temps, répéta la voix dans sa tête. Pas le temps de s’apitoyer. Il la fit taire. À cause d’Elora et du lien qu’elle avait tissé avec Mayeul dès son premier souffle.
    — Non. Non. Ta naissance a été difficile. Mauvaise posture. Ton épaule bloquait. Elle s’est déformée dans l’effort. Mais ça n’a pas suffi. Marie était épuisée, toi aussi. C’est Elora qui vous a sauvés.
    Le bossu écarquilla les yeux.
    — Elora ?
    — Tu sais, la lumière bleue. Tu l’as déjà vue, n’est-ce pas ?
    Mayeul hocha la tête d’un air entendu.
    — Oui. Quand elle parle avec sa mère.
    Mathieu tressaillit face à cette incongruité.
    — Avec dame Hélène ?
    Petit Pierre fit les gros yeux à Mayeul pour l’empêcher de répondre, puis bomba le torse, malgré sa posture incertaine. Cette annonce, il l’avait bien souvent répétée et il y tenait, bougre de bougre. Il y tenait.
    — Non p’pa, avec Algonde. Elle est pas morte. C’est Mélusine que Marthe a tuée.
    Mathieu eut l’impression que le sol de vase l’aspirait tout entier. Il clappa de la bouche, comme ce poisson qui, entre deux eaux, s’approchait.
    — C’est la vérité vraie, m’sieur, renchérit Mayeul. Même qu’Algonde est restée prisonnière du Furon à la place de Mélusine. Mais ça a rien empêché. Elora l’a toujours su.
    Dans la tête soudain vide de Mathieu, la voix de Petit Pierre, en écho :
    — Oui. Toujours su. Même pour moi, elle savait. Et pour toi aussi et pour Fanette et pour…
    — Ça suffit ! J’ai compris, l’arrêta Mathieu en dressant ses mains ouvertes comme un rempart devant l’impensable.
    Petit Pierre se laissa avaler par l’eau verte, avant de ressurgir, comme il avait vu Algonde le faire dans le lac de Choranche.
    — Elle est pas morte p’pa. C’est ce qu’elle voulait nous dire là-bas.
    Mathieu ne répondit pas. Il était atterré, brisé, écartelé. Impossible, hurlait sa raison, sa méfiance. C’est une manœuvre de cette démone. Elle les a tous manipulés. Elora. Petit Pierre. Et Celma, bien sûr, qui voulait le ramener à elle. Tous. La tête lui tournait. Il se mit à grelotter.
    Froide. L’eau est froide. Je sais ce que j’ai vu. Je le sais. C’est moi qui ai tenu Algonde dans mes bras. Elle avait le cœur arraché. C’est moi qui lui ai fermé les yeux. J’ai…
    Il eut l’impression soudain qu’un voile se déchirait. Les yeux. Il lui avait fermé les yeux. Pour ne pas voir à quel point ils étaient vitreux, comme délavés. Son sang se mit à cogner à ses tempes. Les yeux d’Algonde. Ce n’étaient pas les yeux d’Algonde qu’il avait fermés. Qu’avait-il pensé alors en les voyant ? Qu’en lui volant son cœur la Harpie lui avait arraché l’âme, qu’elle avait aspiré la couleur de mousse qu’il avait si souvent admirée.
    Brelot ! Il n’était qu’un brelot !
    Un petit cri, aigu, bref, intense, comme un gargouillis de condamné, jaillit de sa gorge et déchira le silence qui s’était fait autour de lui.
    Les yeux d’Algonde. Voilà ce qu’il avait fui à Choranche. Ses yeux, sa voix. Il lui sembla l’entendre de nouveau, comme un appel qui avait hanté ses nuits pendant dix années.
    « Il ne faut pas avoir peur de moi, Mathieu. Je t’ai toujours aimé. »
    — Faut pas pleurer, m’sieur, s’apitoya Mayeul, oublieux déjà de sa propre identité.
    Pleurait-il ? Mathieu l’ignorait. Il ne voyait, ne sentait plus que les larmes d’Algonde en réponse à son écœurante stupidité.
    D’un mouvement de bras et de jambes, Petit Pierre rejoignit son père. S’accrochant à son cou, il lui bisa les joues avec tendresse.
    — Il a raison, p’pa. Faut pas pleurer. Elle va bien, notre Algonde. Faut juste qu’on aille vite, très vite la délivrer.
    Mathieu acquiesça, par réflexe. Il ne parvenait encore à arracher de son cœur le fardeau de son aveuglement. Petit Pierre lui tira le lobe d’une oreille, puis l’autre. Il parvint ainsi à lui arracher une grimace, puis un sourire. Mayeul prit de l’élan sur son rocher et se propulsa. Il s’abattit sur les épaules massives de Mathieu au moment où Petit Pierre le tirait vers l’avant dans un gigantesque éclat de rire. Mathieu plongea avec eux. Relâché aussitôt par les deux garçons, Mathieu ouvrit son œil unique dans l’eau verte, aperçut des bras et des jambes qui gesticulaient près de lui.
    Un frisson le

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