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Terra incognita

Terra incognita

Titel: Terra incognita Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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était compté.
    — À dextre, à dextre ! gueula une petite voix haut perchée encanaillée par le jeu.
    Invisible de là où ils se trouvaient.
    Mathieu sourit malgré lui. Fouilla du regard la longueur du bâtiment principal, troué de fenêtres à meneaux, qui s’ouvrait en fond de cour. Une image. Celle d’une petite fille à la longue chevelure châtaine qui n’aimait rien autant que s’amuser dans la boue. Elora pouvait-elle être semblable à celle que sa mère avait été, malgré l’éducation qu’on lui avait donnée ? Dédaignant le corps de logis, il fit volte-face, s’attarda une seconde sur la silhouette de La Malice qui, prestement, sitôt le palefrenier disparu en son écurie, escaladait le tronc imposant d’une glycine. Le temps qu’il ait lui-même fait le tour du bâtiment, nota Mathieu, La Malice serait sur le toit, à la meilleure place pour surveiller les alentours.
    Les cris de la bête redoublaient. Les rires aussi. Il n’avait pas besoin de voir. Il devinait. Les dérapages dans la fange, pattes et pieds. Deux enfants au moins. Fils ou filles de valets. La sienne peut-être. Son cœur s’emballa. Il connaissait l’endroit. La disposition de la porcherie. Contourna l’angle de l’écurie. Reconnut le portique de pierre qui la reliait à l’armurerie.
    — Tu l’as, tu l’as, plus viiiiiiiite !
    L’excitation était à son comble dans l’enclos. Un recoin de mur le lui cachait encore. Quelques pas.
    — Harooooooooo !
    Il se figea. Ce cri. Ce timbre.
    — À moi, à moi Mayeul ! implora la petite voix.
    Mathieu leva les yeux vers le faîte de l’écurie. Alerté de même, La Malice regardait en direction de la porcherie, les sourcils froncés. Mathieu le vit porter son pouce et son index à ses lèvres. Il savait déjà quel serait le signal. Deux courts, un long, deux courts. Le ralliement.
    — Je glisse, bougre de bougre ! Je glisse…
    — Attends, je… gnnnnn… hahaha…
    Mathieu s’était mis à courir. Comme un forcené. Il ne voulait pas comprendre. Il se moquait de comprendre. Il déboula devant l’enclos à l’instant où les sifflements stridulaient l’espace, et où deux garnements, assis le cul dans la gadoue, ruisselant jusqu’aux oreilles, sous l’œil goguenard du cochon de lait qu’ils n’avaient pu retenir, levaient les yeux vers le ciel.
    — La Malice ! C’est La Malice ! Ohé !
    Le petit bras s’agitait. Mais Mathieu l’avait déjà reconnu, malgré sa crasse puante. Il enjamba les rondins qui formaient clôture, un nom en bouche.
    Il n’eut pas besoin de le hurler. Son fils venait de le voir.
    — Papa !
    Petit Pierre bondit, dérapa, se retint sur la bosse qui arrondissait le dos de son camarade de jeu, arrachant un nouveau rire à ce dernier et un grognement de satisfaction au petit goret, ravi d’être enfin oublié.
    Père et fils se rejoignirent dans un même élan. Lorsque Mathieu s’accroupit pour le serrer dans ses bras, il n’était que bonheur, un bonheur qui lui coulait par les yeux, comme il avait depuis longtemps cessé d’en rêver.

28
     
    Petit Pierre riait. Mathieu riait. Mayeul riait. Et La Malice, perché sur son toit, qui les voyait aussi débordants de bonheur que dégoulinants de purin, était distrait de sa surveillance. Le petit homme se rengorgea quelques secondes du plaisir inattendu de ces retrouvailles avant de se détourner et de plisser ses yeux délavés en direction de la grand-route.
    Pas oublier que les soldats les coursaient, foutre-dieu !
    Mathieu n’y songeait plus quant à lui. Il ne se rendait pas seulement compte qu’à force de presser son fils contre son paletot, il se maculait de fange. Les mots lui manquaient. Il brûlait de questions, mais ne parvenait à les formuler, rendu muet par ce miracle. Son fils n’était ni mort de froid dans la forêt, ni prisonnier du prévôt. Il était ici. Tout ce temps. Avec Elora.
    Ce fut Petit Pierre qui parla le premier, en s’arrachant à ces bras qui l’étouffaient.
    — Je savais que tu viendrais me chercher. Je savais.
    Il tourna d’un quart la tête vers son compère.
    — Pas vrai Mayeul ?
    — Pour sûr qu’on vous attendait !
    Mathieu hocha la tête, sonda ce visage noirci, ces cheveux que la gadoue collait avec l’envie de retrouver le teint rosé, les boucles souples de son fils. Il se déplia et, avant même que Petit Pierre ait deviné son geste, le faucha sous son bras gauche à la musculature sèche mais

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