Terra incognita
davantage.
— Hâtez-vous, indiqua Elora en franchissant la saignée inscrite dans le sol.
Elle n’était pas de l’autre côté que le mécanisme se réactivait. Khalil n’eut que le temps de sauter pour n’être pas écrasé.
— Continuez, ne vous souciez pas de moi, leur cria Mounia, dépitée de ne pouvoir les suivre, juste avant que l’épaisseur de la roche étouffe sa voix.
— J’ai de plus en plus l’impression d’être dans un tombeau. L’air se raréfie, grinça Khalil en voyant diminuer d’un tiers la flamme de la bougie, les étouffant de pénombre.
— Il ne faut pas rester là, approuva Elora.
Laissant Mounia retourner sur ses pas, ils continuèrent d’avancer, la gorge nouée.
Au-delà de ce goulet, le tunnel n’était plus maçonné mais creusé à même la montagne. Le lanterneau révélait des plaques d’un rouge profond, d’autres marron foncé, quand elles n’étaient pas striées de strates jaunes. Par moments, Khalil eut l’impression de graphies indéchiffrables.
Bien vite, pourtant, il cessa de s’y intéresser. Le froid s’amplifiant, de la buée lui sortait des narines à chaque expiration, et il regrettait de n’avoir pas emporté une couverture pour l’enrouler autour de ses épaules, par-dessus le mantel, dont pourtant, comme Elora, il avait pris soin de se couvrir. Il finit par perdre la notion du temps dans ce combat qui l’épuisait.
Ils parvinrent ainsi devant une nouvelle paroi. Elle était gravée d’un ankh, identique à celui qu’Elora avait enroulé par sa chaîne autour de son poignet.
Sans hésiter, la jouvencelle enchâssa sa clef dans la roche. Elle avait hâte d’arriver au but, de s’emparer du benben et de regagner la surface. Ce froid qui amenuisait l’énergie vitale du petit Bohémien n’avait rien de normal et elle commençait à craindre pour lui. Même si, plus que jamais, elle percevait la nécessité de sa présence à ses côtés.
Une autre roue.
Elle s’ébranla comme la précédente, libérant un vent si glacial qu’Elora ne put s’empêcher de frissonner. Instinctivement elle fit volte-face.
Le petit Bohémien en avait été caressé lui aussi. Il semblait pétrifié. En une fraction de seconde son visage et sa chevelure s’étaient recouverts d’une fine pellicule de givre, sa bouche avait bleui. Elora sentit son cœur se broyer. S’il allait plus avant, il s’éteindrait. Comme cette flamme qui tentait de plus en plus difficilement de subsister.
Elle hésita. Si le mécanisme d’ouverture était lui aussi à sablier comme les souvenirs de Merlin le lui indiquaient, elle n’avait que quelques secondes pour franchir la passe. Mais si elle n’utilisait pas ces quelques secondes pour réchauffer Khalil…
Le regard du petit Bohémien s’était déjà figé dans ce corps que la brûlure du froid continuait de balayer.
Elle devait choisir.
Le benben. Ou l’homme qu’elle aimait.
Le libre arbitre, à l’heure de sa destinée.
Ce fut l’amour qui l’emporta.
Quoi qu’ait pu lui apporter le benben dans sa lutte contre le mal, Elora était faite pour guérir. Pour soigner. Rien n’était plus important que l’amour.
Au moment où elle s’avança vers Khalil, une bourrasque plus violente encore faucha la dernière lueur du falot. Dans l’obscurité retombée, Elora le prit dans ses bras, chercha son oreille.
— À toi et pour toujours, murmura-t-elle.
Le halo bleuté les enveloppa tous deux jusqu’à les déborder, inonder le tunnel en amont et bien au-delà des portes de l’hiver.
Lorsque le souffle de Khalil redevint tiède et léger contre elle, Elora s’écarta, certaine d’avoir fait le seul choix possible et heureuse que Mounia, finalement, ait été bloquée. Elle n’aurait sans doute pu les sauver tous deux.
— Tant pis pour le benben, tu es bien plus important à mes yeux, assura-t-elle en découvrant son regard triste.
Incapable de mots, il la prit aux épaules et la fit pivoter vers la roue qui, achevant sa course, révélait à présent l’intérieur d’une salle pyramidale.
Une salle baignée d’une lumière douce, qu’un homme sans âge ni vie, assis par terre contre le djed qui soutenait le benben, avait, quarante ans plus tôt, à dessein, frigorifiée.
*
Nycola avait passé de longues minutes à frictionner Mounia des pieds à la tête par-dessus la couverture dans laquelle elle s’était enroulée sitôt revenue du souterrain.
Pour calmer sa
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