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Terribles tsarines

Terribles tsarines

Titel: Terribles tsarines Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Troyat
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le brusque engouement de l'élite russe pour l'art théâtral, Élisabeth pousse la bienveillance jusqu'à autoriser les comédiens à porter l'épée, honneur réservé jusque-là à la seule noblesse. Au vrai, la plupart du temps, les pièces représentées à Saint-Pétersbourg et à Moscou sont de pâles adaptations en russe des pièces françaises les plus célèbres. L'Avare y alterne avec Tartufe et Polyeucte avec Andromaque. Soudain, pris d'une audace confondante, Soumarokov imagine d'écrire un drame historique russe, Sinav et Trouvor, inspiré par le passé de la république de Novgorod. Cet essai de littérature nationale trouve un écho jusqu'à Paris, où l'événement est signalé comme une curiosité dans Le Mercure de France. Peu à peu, le public russe, entraîné par Élisabeth et Ivan Chouvalov, s'intéresse à la naissance d'un moyen d'expression qui n'est encore qu'une imitation des grandes œuvres de la littérature occidentale, mais auquel l'usage de la langue maternelleconfère un semblant d'originalité. Soumarokov, sur sa lancée, rédige une revue littéraire, L'Abeille laborieuse, qui deviendra, au bout d'un an, un recueil hebdomadaire, Le Loisir, publié par le corps des Cadets. Il pimente même ses textes d'un peu d'ironie dans le style voltairien, mais sans la moindre provocation philosophique. Bref, il s'agite comme un beau diable dans un domaine où tout est neuf, que ce soit la pensée ou l'écriture. Et pourtant, au milieu des pionniers où il se range avec un Trediakov et un Kantémir, c'est un autre auteur qui déjà se pousse à la première place.
    Là encore, c'est Ivan Chouvalov qui est le « découvreur ». Celui dont il vient de pressentir le génie est un étrange personnage, qui tient de l'illuminé, du touche-à-tout et du vagabond : un nommé Serge Lomonossov. Fils d'un humble pêcheur des environs d'Arkhangelsk, Lomonossov a passé la majeure partie de son enfance sur la barque paternelle, dans le froid et la tempête, entre la mer Blanche et l'océan Atlantique. Il a appris à lire chez un prêtre de sa paroisse, puis, saisi d'une brusque passion pour les études et l'errance, s'est enfui de la maison familiale et a marché droit devant lui, déguenillé et affamé, dormant n'importe où, mangeant n'importe quoi, vivant d'aumônes et de rapines, mais sans jamais dévier du but qu'il s'est fixé : Moscou. Quand il arrive, d'étape en étape, au bout de son long voyage, il a dix-sept ans, le ventre creux et la tête pleine de projets mirifiques. Recueilli par un moine, il se fait passer pour le filsd'un prêtre venu s'instruire auprès des grands esprits de la ville et le voici admis, par protection, à l'Académie slavo-gréco-latine, seul établissement d'enseignement existant alors dans l'empire. Il y est vite remarqué pour son intelligence et sa mémoire exceptionnelles, ce qui lui vaut d'être dirigé sur Saint-Pétersbourg, d'où on l'expédie en Allemagne. Selon les prescriptions de ses commettants, il doit y parfaire ses connaissances dans toutes les matières. A Marburg, le philosophe et mathématicien Christian von Wolff le prend en amitié, l'encourage dans ses lectures, lui fait découvrir l'œuvre de Descartes et l'initie aux débats d'idées. Mais, si Lomonossov est attiré par la spéculation intellectuelle, il l'est également par la poésie, cela d'autant plus qu'en Allemagne, sous l'égide de Frédéric II, qui se pique de culture, la versification est un passe-temps à la mode. Exalté par des exemples venus de haut, Lomonossov écrit lui aussi, beaucoup et vite. Les exercices littéraires ne le retiennent d'ailleurs pas longtemps devant sa table de travail. Sur un coup de tête, il délaisse la plume pour courir les tripots et lutiner les filles. Ses désordres sont si scandaleux que, menacé d'arrestation, il doit fuir pour n'être pas enrôlé de force dans l'armée prussienne. Capturé et emprisonné, il parvient à s'évader et retourne, à bout de forces et à court d'argent, à Saint-Pétersbourg.
    Ces aventures successives, loin de l'assagir, lui ont donné l'envie de lutter, de toute son énergie, contre le mauvais sort et les faux amis. Néanmoins,cette fois, s'il veut se distinguer, ce n'est plus dans la beuverie mais dans la poésie. Son admiration pour la tsarine l'inspire. Il voit en elle plus que l'héritière de Pierre le Grand : le symbole de la Russie en marche vers un avenir glorieux. Dans un bel élan de sincérité, il lui

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