Terribles tsarines
l'impératrice des progrès de cette idylle doublement adultérine. Un jour, alors que Mme Tchoglokov expose, pour la dixième fois, à Sa Majesté les soucis que lui cause le grand-duc en négligeant son épouse, Élisabeth, saisie d'une illumination, retourne à une idée qui la hante depuis les fiançailles de son neveu. Comme vient de le dire son interlocutrice, pour qu'il y ait naissance d'enfant, il faut impérativement que le mari « y ait mis du sien ». C'est donc sur Pierre qu'il faut agir, et non sur Catherine, pour assurer une procréation correcte. Ayant convoqué Alexis Bestoujev, Élisabeth examine avec lui la meilleure façon de résoudre le problème. Les faits sont là : après cinq ans de mariage, la grande-duchesse n'a pas encore été déflorée par son époux. Or, selon les dernières nouvelles, elle a un amant normalement constitué, Serge Saltykov. En conséquence,il importe, pour éviter un fâcheux micmac, de prendre Serge Saltykov de vitesse et d'offrir à Pierre la possibilité de féconder sa femme. Selon le médecin de cour Boerhaave, il suffirait d'une légère intervention chirurgicale pour libérer Son Altesse du phimosis qui le rend impropre à satisfaire son auguste moitié. Bien entendu, si l'opération ne réussit pas, Serge Saltykov sera là pour remplir, incognito, le rôle de géniteur. On aura ainsi une double garantie d'insémination. Autrement dit, pour que la descendance de Pierre le Grand soit assurée, il est préférable de miser sur les deux tableaux : laisser Catherine prendre du bon temps avec son amant et préparer son mari à avoir avec elle des rapports efficaces. Le souci dynastique et le sens de la famille se conjuguent pour conseiller à la tsarine d'avoir, en stratège avisé, plusieurs cordes à son arc. Du reste, n'ayant jamais eu d'enfant elle-même, en dépit de ses nombreuses aventures sentimentales, elle ne comprend pas qu'une femme, à qui sa constitution physique n'interdit pas la maternité, hésite à chercher auprès d'un autre homme le bonheur que son époux lui refuse. Peu à peu, dans sa tête, l'adultère de la grande-duchesse, qui n'était au début qu'une idée à la fois futile et aberrante, devient une idée fixe à caractère sacré, l'équivalent d'un devoir patriotique.
A son instigation, Mme Tchoglokov, transformée en confidente très intime, va expliquer à Catherine qu'il est des situations où l'honneur d'une femme est de consentir à perdre cet honneurpour le bien du pays. Elle lui jure que personne — pas même l'impératrice — ne lui tiendra rigueur de cette dérogation aux règles de la fidélité conjugale. C'est donc avec la bénédiction de Sa Majesté, de Bestoujev et des Tchoglokov qu'elle retrouve maintenant Serge Saltykov pour des rencontres qui ne sont plus uniquement des parties de plaisir. Cependant, la petite intervention chirurgicale décidée en haut lieu est pratiquée de façon tout à fait indolore par le docteur Boerhaave sur la personne du grand-duc. Pour avoir la preuve qu'un coup de bistouri a rendu son neveu « opérationnel », Sa Majesté lui envoie la jeune et jolie veuve du peintre Groot, que l'on dit apte à se faire une opinion sur ce point. Le rapport de la dame est concluant : tout est en ordre ! La grande-duchesse pourra juger par elle-même des capacités enfin normales de son époux. En apprenant la nouvelle, Serge Saltykov est soulagé. Et Catherine l'est encore plus. En effet, il est temps que Pierre se manifeste, une fois du moins, au lit pour qu'elle puisse lui faire endosser la paternité de l'enfant qu'elle porte depuis quelques semaines dans son ventre.
Hélas ! au mois de décembre 1750, au cours d'une partie de chasse, Catherine est prise de violentes douleurs. Une fausse couche. Malgré leur déception, la tsarine et les Tchoglokov redoublent d'attention envers elle. Une façon comme une autre de l'inviter à recommencer. Avec Saltykov ou avec n'importe quelle « doublure ». Le vrai père importe peu. C'est le père putatif qui compte ! En mars1753, Catherine éprouve derechef des symptômes de grossesse. Une seconde fausse couche survient, au retour d'un bal. Heureusement, la tsarine a de l'opiniâtreté à revendre : au lieu de désespérer, elle encourage Saltykov dans son rôle d'étalon, cela tant et si bien qu'en février 1754, sept mois après sa dernière fausse couche, Catherine constate qu'elle est de nouveau enceinte. Aussitôt prévenue, la tsarine pavoise.
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