Théodoric le Grand
le constater, ils lui rapporteront que vous n’êtes pas tombé dans le panneau
et qu’il ne pourra vous enfermer ici. Il abandonnera ce plan et vous ne courrez
pas le danger qu’il…
— Suffit ! cracha Théodoric. Mon premier souci
n’est pas d’éviter le danger. C’est de mettre l’adversaire en danger.
— Tout à fait. Et c’est ce que je propose. Laissez-moi
m’en charger.
Théodoric eut un petit rire amusé :
— Vous ?
— Je sais où Odoacre a l’intention de se rendre. Je
peux le capturer avant qu’il ne…
— Akh, Odoacre ne sera pas difficile à pister.
Ma cavalerie est en train de lui déchirer les flancs et de lui mordre les
talons. On peut suivre sa trace rien qu’aux morts tombés en chemin.
— Il ne ralentira pas pour autant. Vous aurez beau
faire, vous ne pourrez l’attraper avant qu’il n’ait le temps de faire deux
choses. Il va foncer vers la rivière Addua [90] , à l’ouest,
où l’attend cette nouvelle armée envoyée contre vous. Quand il réalisera que
son plan d’encerclement a échoué, il redescendra sûrement vers Ravenne. Et s’il
y parvient, vous ne l’en ferez pas sortir avant le jour du Jugement dernier.
Cette cité marécageuse est impossible à encercler, imperméable aux attaques,
inexpugnable par un siège. C’est pourquoi je vous le redis, Théodoric,
laissez-moi m’emparer de lui avant qu’il n’ait atteint l’une ou l’autre de ces
destinations.
— Vous ? répéta Théodoric. Vous et vos quelques
gardes du palais ?
— Avec autant d’hommes que vous voudrez bien m’en
confier. Ceux qui leur donnent déjà la chasse, plus quelques-uns d’ici. J’ai
besoin d’une force de frappe assez légère pour être rapide et maniable, mais
suffisamment imposante pour pouvoir tenir le choc sans dommages en cas
d’engagement. Je n’espère pas défaire la totalité de cette armée en fuite, bien
sûr, juste la forcer à faire halte pour se défendre, ce qui vous laissera le
temps de la rattraper. Croyez-moi, Théodoric, confiez-moi simplement une partie
de votre cavalerie. Ou bien venez en personne, si vous…
— Ne, ne, laissez-moi l’accompagner !
intervint d’une voix excitée le jeune Freidereikhs. Là, derrière ces murs se
trouvent mes cavaliers ruges ; comme leurs chevaux, ils ne rêvent que d’un
peu d’action. Théodoric, laissez les Ruges se lancer à la poursuite d’Odoacre,
sous notre commandement.
Comme Théodoric différait sa réponse, réfléchissant à la
proposition, Herduic fit, d’un ton engageant :
— Cela risque tout au plus de décourager encore
Odoacre… la vue de son ancien général en chef, du peuple ruge soudainement
réuni contre lui…
— Il sera certainement au désespoir ! ajouta
Freidereikhs, enthousiaste. Si ça se trouve, il lèvera les mains et se rendra
sur-le-champ.
— Je ne promets rien d’aussi facile, corrigea Tufa.
Mais quoi qu’il arrive, Théodoric, qu’avez-vous à perdre à nous y
envoyer ?
— Une chose est sûre en tout cas, gronda le vieux Soas,
solennel. C’est que plus nous discutons, plus Odoacre prend le large.
— Tu as raison, trancha Théodoric. Vous avez tous
raison. Vas-y donc, Freidereikhs, et prends dix turmae de mes cavaliers.
Quant à vous, Tufa, allez avec lui et guidez-le, mais rappelez-vous que vous
êtes un allié en période probatoire. Durant toute la durée de ce raid, le roi
des Ruges est votre chef. Faites-moi parvenir des messagers pour m’informer de
ce qui arrivera, et où. Habái ita swe !
Comme Freidereikhs, Tufa répondit par le salut germanique,
non à la romaine, et les deux hommes s’éloignèrent au galop vers la porte par
laquelle nous avions pénétré dans la cité.
Je me penchai vers Théodoric et lui fis remarquer :
— Il n’y a pas si longtemps, tu spéculais sur les
chances d’une défection de Tufa en notre faveur. Pourquoi, maintenant qu’elle
intervient, sembles-tu si réticent à son égard ?
— J’attends de sa défection d’autres preuves que sa
parole. Voyons s’il accomplira l’exploit qu’il nous a proposé. Même s’il y
parvient, et il doit bien le savoir lui-même, un traître n’a pas vocation à
être cru, encore moins à être respecté. Venez maintenant, mes maréchaux, allons
remettre de l’ordre dans la cité, afin que ses habitants puissent y rentrer et
lui redonner vie. Vérone est une ville trop raffinée pour demeurer dans un tel
désarroi.
*
J’ai
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