Théodoric le Grand
ajouté leur propre roi !
Je lui rappelai :
— Tu détiens dix fois plus de légionnaires d’Odoacre.
L’armée romaine a toujours scrupuleusement observé les règles de la guerre
civilisée qui prévoient, entre autres, l’échange de prisonniers contre paiement
d’une rançon. En outre, le messager a affirmé que Freidereikhs était toujours
en vie.
— J’espère qu’il le restera. Odoacre n’a pas semblé si
concerné que cela par la vie de ses propres soldats, quand il les a abandonnés
ici. Il est peut-être roi de Rome, mais ni lui ni Tufa ne sont de naissance
romaine, et je ne les pense pas forcément respectueux des idéaux romains que
sont l’honneur, le civisme et l’humanité. Dès qu’ils verront qu’ils se trouvent
hors d’atteinte et ne risquent plus d’être interceptés ou rejoints, ils
considéreront leurs otages comme d’encombrants fardeaux.
— Ce n’est pas faux, répliquai-je, soudain assez mal à
l’aise. Et plus la peine de compter désormais sur un quelconque messager pour
nous donner de leurs nouvelles… Théodoric, je te demande la permission de
partir moi-même me rendre compte de la situation.
— Crois-tu pouvoir tenir à cheval, Thorn ? Tu es
blessé.
— Bagatelle. C’est presque guéri. Cela ne m’empêche de
tenir ni les rênes ni une épée.
— Vas-y, en ce cas. Tu pourras prendre avec toi dix
autres turmae, si tu veux. Les autres Ruges du jeune roi doivent
bouillir de rage et rêver de vengeance.
— Ne, pas pour le moment. Je voyagerai plus
facilement seul. Et pour pouvoir te retrouver, puis-je te demander ce que tu
entends faire, à présent ?
— Ja, fit-il inflexible. J’ai l’intention
d’aller me regonfler le moral en me livrant à un petit massacre.
Il ajouta, avec un sourire d’autodérision sans joie :
— J’ai aussi décidé de continuer à faire confiance à
Tufa.
— Pardon ?
— Il a parlé d’une autre armée campée sur les bords de
l’Addua, et cela avait toutes les apparences de la vérité. Je pense qu’Odoacre
doit s’attendre à ce que je me rue à sa poursuite, ivre de rage, et que je
fonce aveuglément sur Ravenne. Si je m’exécute, il demandera à cette armée de
l’Addua, en se servant des signaux de Polybe, par exemple, de me prendre à
revers.
— Histoire de t’attraper en tenaille, conclus-je.
— Aussi, dès que la cavalerie d’Ibba sera prête à se
mettre en route, je vais mener un raid éclair à l’ouest, en direction de
l’armée de l’Addua. Je vais ainsi les prendre par surprise, et je l’espère
bien, les pulvériser. Je laisserai Vérone à la garde de l’infanterie de Pitzias
et d’Herduic, au cas où d’autres armées romaines rôdent dans les environs.
Pour le réconforter, je souris et lui dis :
— Je ferais mieux de me mettre en route sans tarder,
alors. Tu es bien capable de gagner la guerre avant mon retour.
Quand je le saluai et pris congé, Théodoric enfilait déjà
son armure de combat, mais je laissai la mienne au camp, avec mon épée-serpent
et mon poignard de ceinture : tout ce qui m’aurait trop facilement
identifié comme un guerrier ostrogoth. Je n’emportai sur moi et dans mes sacs
de selle que de simples vêtements de voyage et suspendis à mon pommeau de selle
un glaive court romain hors d’usage, récupéré après la bataille. Je laissai
Velox traverser le pont sur l’Athesis d’un pas tranquille, afin que les pierres
rudes ne lui endommagent pas les sabots. De l’autre côté, je le déportai sur la
marge herbeuse de la Via Postumia et d’un énergique coup de talons, m’élançai
au grand galop vers le sud.
*
Les formes du corps humain, quand on y réfléchit bien, sont
presque entièrement constituées de lignes convexes. Un corps normalement
constitué et typique comporte en effet peu de surfaces concaves. La paume de la
main, la voûte plantaire, le creux situé à la jointure antérieure du coude,
l’aisselle ; y en a-t-il d’autres ? Aussi la vue inhabituelle,
inattendue et peu naturelle, sur une silhouette humaine, de creux et de
dépressions venant briser la douce rotondité du torse ou des membres a-t-elle
incontestablement quelque chose de repoussant, qui a de quoi soulever le cœur.
Par une journée d’octobre d’un bleu éclatant, quelques
milles à l’est de Bononia, dans le chaume d’un champ de blé fraîchement
moissonné, au bord de la Via Aemilia, je contemplais les dernières
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