Théodoric le Grand
qui avait gouverné de fait par le biais de
députés choisis par ses soins, tant en Aquitaine qu’en Hispanie. En conséquence,
le prince héritier Amalaric avait grandi à Tolosa, dégagé de toute
responsabilité royale, et sa totale inexpérience en la matière l’avait vidé de
toute ambition à exercer un jour un tel pouvoir. Tout bien considéré, en tant
que gouverneur putatif du royaume des Goths, il n’apparaissait guère plus
souhaitable que son cousin de Ravenne.
Il y avait cependant un dernier candidat : Théodat, le
fils de la sœur de Théodoric, Amalafrida, et de son premier mari, naguère herizogo chez les Ostrogoths. Il aurait même pu, en vérité, faire valoir des droits fort
légitimes à la succession de Théodoric, sur le plan de sa lignée amale
proprement dite. Il possédait également la maturité voulue pour régner, étant
déjà d’un âge moyen [149] . Hélas, outre qu’il n’avait
aucune expérience des hautes fonctions gouvernementales, il n’en avait pas non
plus les qualités morales, n’étant qu’un négociant retors et dur en affaires.
C’était le Théodat qui m’avait tant déplu jeune, ce balourd boutonneux et
renfrogné que son oncle avait publiquement discrédité pour cause de tentative
d’extorsion de terres et qui avait depuis poursuivi dans cette voie, s’attirant
de la part de tous le mépris et la déconsidération.
La seule personne haut placée à croire encore que la Fortune
pourrait un jour sourire à cet indigne prétendant au trône, si étrange que cela
puisse paraître, était Amalasonte, la propre fille de Théodoric,
indiscutablement la première à pouvoir assurer sa succession. Elle pouvait
difficilement ignorer à quel point elle était impopulaire à la cour, comme dans
tout le royaume d’ailleurs, et même si elle chérissait béatement son fils, elle
se rendait bien compte qu’il n’était guère plus aimé qu’elle. Elle chercha donc
un peu plus loin et se rapprocha de son cousin Théodat, qu’elle avait
souverainement ignoré jusqu’alors. Le raisonnement d’Amalasonte était clair.
Elle, son fils et son cousin étaient sur le plan généalogique les prétendants
les plus légitimes à la couronne de Théodoric. Unis, ils maintiendraient
aisément à distance les autres successeurs qui se présenteraient, forçant ainsi
le royaume des Goths à accepter l’un d’eux au poste suprême, quitte à ce qu’il
en partageât ensuite les bénéfices avec les deux autres.
Ainsi donc, en 523 de Notre Seigneur, l’an 1276 de la
fondation de Rome, cinquième année du règne de l’empereur Justin et trentième
de celui de notre roi Théodoric, la situation se présentait en ces termes.
Nous tous, les amis et proches conseillers de Théodoric,
désespérions de trouver un digne successeur à notre roi bien-aimé, afin de
prendre en main les destinées d’un royaume qu’il avait emporté de haute lutte
et assis dans sa grandeur présente. Son remplaçant idéal, un Ostrogoth
indiscutable de la lignée des Amales, n’existait pas, purement et simplement.
Les militaires proposèrent alors une alternative digne d’intérêt, en la
personne du général Tulum. Il n’avait aucun droit familial à revendiquer ce
poste, mais c’était un pur Ostrogoth, et tous s’accordaient à reconnaître en
lui les véritables vertus d’un roi. Nous fûmes donc extrêmement déçus lorsqu’il
déclina sèchement cet honneur, arguant qu’ayant toujours fidèlement servi les
Amales, il ne se voyait pas bafouer des règles de succession en usage depuis
des temps immémoriaux.
Pendant ce temps, l’Empire d’Orient – autrement dit le
triumvirat formé par Justin, Justinien et Théodora –, sans menacer
explicitement le royaume des Goths, tendait indéniablement à affirmer son
pouvoir et sa domination sur le monde. L’intention n’était pas de provoquer la
rébellion de Théodoric, mais de suggérer à ses sujets qu’une fois son domaine
débarrassé de son imposante stature, il pourrait naturellement être annexé par
Constantinople. Tous les chefs des nations environnantes envisageaient, pour
leur propre compte, un scénario similaire, peu enclins à s’entre-déchirer pour
se disputer la carcasse du royaume des Goths. Ayant désormais un attachement
commun à la foi catholique, ils s’étaient vraisemblablement déjà mis d’accord
sur celui d’entre eux qui en récolterait les restes. Aussi, tant que Théodoric
se maintint en vie et
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