Thorn le prédateur
rappelai-je d’un ton calme,
comprennent le paiement de mon voyage, qui vous a dûment été réglé.
— Akh ! Vu que nous ne pourrons rentabiliser
le retour en chargeant ce fret, je ne garderai que la moitié de ce que j’aurais
dû vous réclamer.
— Cela n’a jamais été spécifié dans notre contrat
d’origine, rétorquai-je, toujours imperturbable, continuant à affûter mon épée.
De plus, quand je vous ai payé ce que vous me demandiez, je vous ai versé
presque jusqu’à mon dernier nummus. Vous allez donc à présent honorer
vos engagements.
Bien que j’eusse laissé derrière moi Thornareikhs, je
continuais – et du reste, je n’en ai plus dévié depuis – à employer
l’utile stratagème qu’il m’avait enseigné. Prenez un air d’autorité en étant
persuadé que vous allez être obéi, et la plupart du temps les gens vous
obéiront. Je poursuivis :
— Je veux bien vous accorder une concession. Vous allez
me débarquer en vue de Singidunum, ainsi ne vous mettrez-vous pas en trop grand
danger. Mais que les choses soient bien claires : je dois voir la cité,
quelle que soit alors sa distance, quand je prendrai pied sur la berge. Pas
question de me lâcher n’importe où dans une forêt déserte.
Oppas ne put que grincer des dents et ajouta d’un ton
hésitant :
— Ah ouais ? Et si nous décidons de vous larguer
ici ? Que se passera-t-il si nous vous fichons par-dessus bord, et pas
plus tard que tout de suite ?
Ses hommes approuvèrent du chef en marmonnant d’un air
menaçant.
Ma réponse ne tarda pas.
— Je vous l’ai dit, je pars à Singidunum combattre les
Sarmates.
J’arrachai un cheveu de ma tête et le promenai sur le
tranchant de ma lame ; il se sépara en deux moitiés égales.
— Je pourrais en profiter pour me donner un peu
d’entraînement. Je pense que cette barge, si je la laisse flotter, me
déposerait de toute façon à destination.
— Bien dit, l’avorton ! hurla la sentinelle de sa
tour.
Et il ajouta, à l’intention d’Oppas et de ses hommes :
— Si j’étais vous, messieurs, j’affronterais les
barbares et les pirates.
Et Oppas, quoique de fort mauvaise grâce et après avoir
lâché un horrible chapelet de jurons bien sentis, ordonna donc à ses hommes de
pousser sur leurs perches et la barge s’éloigna. Le reste du voyage fut plutôt
tendu et il n’y eut plus d’aimables conversations entre Oppas et moi.
J’entendais ses hommes grommeler constamment, au bord de la mutinerie. J’eus
donc bien soin, à partir de cet instant, de ne jamais leur tourner le dos, et
ne dormis la nuit qu’à la manière de Wyrd, le poing serré sur un galet, mon
épée hors du fourreau et prête à servir, et l’autre main enroulée autour du
licol de Velox, de façon à être réveillé s’il bronchait pour une raison
quelconque.
Bien que ce trajet de Mursa à Singidunum représentât à peine
un tiers de celui qui nous avait menés de Vindobona à Mursa, les conditions
firent qu’il me parut beaucoup plus long. Nous n’eûmes cependant aucun
assaillant à affronter. Excepté d’occasionnels petits bateaux de pêche et de
rares chalands tourbiers longeant frileusement la berge, nous eûmes le Danuvius
pour nous seuls. Même les pirates du fleuve semblaient avoir décidé de rester à
terre en attendant que la guerre opposant Sarmates et Ostrogoths prît fin.
Un matin aux aurores, notre barge contourna une pointe
avancée, et les bateliers piquèrent leurs perches au fond de la rivière pour
nous arrêter. Sans un mot, Oppas pointa son doigt vers le lointain. Sur notre
droite se trouvait la base navale de Taurunum, quasiment identique à celle de
Mursa, si ce n’est que celle-ci était absolument vide. Personne, pas un bateau
sur les quais et les docks. Au-delà, le Danuvius doublait de largeur du fait de
la Savus [121] , qui arrivait par la droite. Au loin, derrière ce
confluent, encore floue dans le lointain et le brouillard du matin, on
distinguait la cité de Singidunum. Un promontoire de forme triangulaire
s’élevait en pente douce de la rivière vers un plateau qui s’achevait à
l’intérieur des terres par une falaise d’une hauteur vertigineuse. Cette
avancée en surplomb formait une position défensive idéale, protégée à l’arrière
par cette falaise, et des deux côtés sur l’avant par la rivière. D’aussi loin,
il m’était difficile de distinguer les détails – peut-être des
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