Thorn le prédateur
adverses. Au bout d’un long
moment, j’eus l’impression d’assister à un interminable jeu de gamins. Les
forces semblant égales, le match devenait absurde, sans objet.
Mais cet échange stérile sembla fatiguer l’un des deux
camps, car ses guerriers, sortant soudain à découvert, chargèrent leurs adversaires
toutes épées dehors. Deux d’entre eux, stoppés net par des flèches en vol,
roulèrent au sol en se contorsionnant de douleur. Mais les flèches se tarirent
brusquement, et leurs tireurs, loin de venir affronter leurs assaillants lame
contre lame, jaillirent au contraire de l’arrière du bosquet, sautèrent sur
leurs chevaux et s’enfuirent dans la direction opposée.
Cela m’avait suffi à déterminer où étaient les Sarmates et
où étaient les Ostrogoths. Le groupe ayant refusé l’engagement à l’épée s’identifiait
de lui-même. Ceux qui chargeaient brandissaient à l’évidence les formidables
épées au « serpent torsadé » estampillées par les Goths, devant
lesquelles on avait vu les plus braves reculer. Mais je remarquai en outre que
ceux qui s’enfuyaient portaient l’armure en corselet d’écailles faites de
rognures de sabot de cheval, que Wyrd m’avait décrite un jour comme l’invention
des guerriers sarmates. Ceux-ci étaient donc aussi mes ennemis. Les Ostrogoths
qui venaient de les charger semblant se contenter de battre le bosquet
fraîchement évacué sans doute pour achever d’éventuels blessés demeurés sur
place et n’ayant pas l’air de vouloir poursuivre les fuyards, je décidai de le
faire à leur place.
Je lançai Velox au galop sur la pente dans une trajectoire destinée
à me rapprocher progressivement des Sarmates, et à les intercepter avant qu’ils
ne se mettent à couvert dans les bois alentour. Dès qu’ils m’aperçurent, les
hommes me considérèrent avec une certaine surprise : j’étais un cavalier
solitaire, d’identité indéfinie, les chargeant sans armure. Leur surprise se
mua en préoccupation, puis en alarme et enfin en véritable terreur quand je me
mis à les cribler de flèches, tout en poursuivant mon galop effréné.
Je l’ai dit, je n’étais pas aussi doué que Wyrd pour le tir
continu, ni aussi redoutablement précis. La plupart de mes flèches passèrent au
large, mais j’avais tout de même réussi à désarçonner deux Sarmates quand le
reste du groupe, une fois revenu de sa stupéfaction initiale, décida de
s’éparpiller dans toutes les directions. Je parvins malgré tout à en abattre un
dernier d’une flèche dans le dos. Aucun des Sarmates n’avait tenté, en dépit de
leur nombre, de répliquer à mes tirs, et je savais qu’ils ne le feraient pas.
Hormis les Huns, dont les jambes arquées devaient leur donner une prise plus
solide que tous les autres cavaliers sur leurs montures, aucun guerrier sur un
cheval au galop n’était capable de tirer une seule flèche en espérant atteindre
sa cible. Je devrais dire « hormis les Huns et moi », lorsque je me
tenais arrimé à ma monture grâce à mes « cale-pieds » en corde. Et
comme Wyrd l’avait aussi fait remarquer, seul un arc hunnique comme celui qu’il
m’avait légué pouvait propulser une flèche à très longue distance, et avec
assez de puissance pour traverser une armure sarmate.
Les fuyards auraient pu descendre de cheval, puis m’ajuster
de leurs nombreuses flèches avec de bonnes chances de me toucher voire de
m’abattre, dépourvu d’armure comme je l’étais. Mais en me retournant sur ma
selle, je compris pourquoi ils ne l’avaient pas fait. Quatre Ostrogoths avaient
enfourché leurs chevaux et galopaient désormais derrière moi, armés d’un contus [122] . Ces
hommes ne portaient pas l’armure d’écailles, mais de lourds corselets de cuir
auxquels étaient adjoints d’épais tabliers également capitonnés de cuir. Leurs
jambes étaient couvertes de jambières rembourrées en tissu blanc, sanglées de
lanières entrelacées remontant depuis leurs bottes basses. Leurs casques,
contrairement à ceux des Sarmates, n’étaient point coniques mais assez proches
de ceux des Romains, avec cependant des rabats plus larges sur les joues et une
pièce plate de métal projetée du front sur le nez en guise de protection. Tout
ce que l’on pouvait voir du visage d’un guerrier ostrogoth, c’étaient ses fiers
yeux bleus et sa barbe d’or ondulée. J’arrêtai Velox et attendis qu’ils me
rejoignent.
L’un d’eux
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