Thorn le prédateur
cave.
— Thags izvis, Votre Sérénité, avec plaisir.
Il s’allongea sur une couche adjacente à la mienne, et fit
signe à un serviteur de lui apporter un gobelet.
— Voilà un moment que nous n’avions plus conversé.
— C’est que… j’ai été fort occupé, fis-je, songeant que
je pouvais bien, au point où j’en étais, rajouter un peu à mon imposture. Je
suis parti à la découverte de différents quartiers de votre belle cité. Je
cherchais des projets dans lesquels je pourrais songer à investir.
Il se servit un peu de vin, et fit remarquer :
— Excusez ma présomption, Votre Sérénité, mais au vu de
la nouvelle et incertaine situation de l’Empire, peut-être serait-il sage de
reporter à plus tard un investissement… Cela pourrait s’avérer aléatoire.
— Vraiment ? Je ne me suis pas tenu informé des
dernières affaires de l’État, beaucoup trop occupé par les miennes. Je n’ai
même pas pris le temps d’aller quérir et déchiffrer les derniers messages de
mes agents de l’étranger. Quant à mes conversations avec les deux personnes
avec lesquelles… euh, avec lesquelles je discutais, elles ne touchaient pas à
des sujets d’importance majeure. Que s’est-il donc passé, Amalric ?
Espiègle, il acquiesça, d’un ton qui se voulait
entendu :
— Vous devez avoir exploré, en effet, hum… de bien
plaisants quartiers de notre ville. Le sujet dont tout le monde discute est, bien
sûr, le tout nouvel empereur de Ravenne.
— Pardon ? Encore un ?! Si tôt ?
— Ja. Glycérius a été renversé du trône
impérial, et remplacé par un certain Julius Nepos. Pour consoler l’empereur
déchu, on l’a nommé évêque de Salona, en Illyrie.
— Iésus ! Glycérius avait été soldat, puis
empereur. Le voici désormais évêque ? Mais qui diable est ce Julius
Nepos ?
— Un favori de l’empereur de Constantinople, Léon.
Nepos et lui ont été, dit-on, vaguement liés par un certain mariage.
— Comment cela, « ont été » ? Ils ne le
sont plus ?
Incrédule, Amalric secoua la tête en me dévisageant :
— Mais comment le pourraient-ils ? Vous n’êtes
donc pas au courant de la plus extraordinaire des nouvelles, celle de la mort
de Léon ?
— Credat Judaeus Apella ! [117] (C’était
là une remarque à la mode, que j’avais retenue de mes fréquentations dans la
haute société.) Vous y allez tout de même un peu fort, non ?
— Vous devez bel et bien me croire…, insista Amalric.
Je vous l’ai dit, nous vivons des temps fort troublés. D’ailleurs, cette
succession précipitée d’événements tragiques a même un côté assez
catastrophique.
— Iésus, répétai-je. Je crois que Léon
gouvernait déjà Constantinople à ma naissance. J’aurais juré qu’il resterait
éternellement sur le trône !
— Akh, il y a toujours un Léon là-bas, mais il
s’agit désormais de son petit-fils, Léon II. Ce n’est encore qu’un enfant
de cinq ou six ans tout au plus, aussi nommera-t-on certainement un régent pour
l’aider à régner. Mais je suppose que si vous ne saviez pas cela, vous ignorez
aussi la mort récente et simultanée, au printemps dernier, des deux frères qui
étaient rois des Burgondes, Gondioc et Chilpéric ?
— Gudisks Himins ! murmurai-je. Ceux-là,
j’en suis certain, gouvernaient depuis ma naissance.
— Ce sont leurs fils qui sont désormais co-régnants.
Gondebaud gouverne à Lyon, Godégisile à Genève. Et connaissez-vous la
dernière ? Le roi des Ostrogoths, Théodemir, est décédé lui aussi. Pas de
vieillesse, comme les précédents, mais d’une mauvaise fièvre.
— Je l’ignorais. Cette mort contribue-t-elle également
à l’instabilité de l’Empire ?
— Oh vái, et comment ! Théodemir était
depuis longtemps payé par Léon pour sauvegarder la paix sur les frontières nord
de l’Empire d’Orient. C’était bien plus qu’une somme symbolique, croyez-moi,
car il s’agissait de s’assurer la fidélité des Ostrogoths aujourd’hui sans
chef, et il se pourrait qu’une de ces tribus étrangères, jusqu’ici tenues en
respect, en profite pour se rebeller. L’une d’elles l’a d’ailleurs déjà fait.
Les Sarmates du roi Babai.
— J’ai déjà entendu parler de ce peuple… Qu’ont-ils
encore fait ?
— Ils ont attaqué la ville fortifiée de Singidunum,
située à la frontière septentrionale de l’Empire, et s’en sont emparés. Pas
pour trop
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