Thorn le prédateur
longtemps, espérons-le. Le bruit court en effet que le fils de
Théodemir lui aurait succédé sur le trône des Ostrogoths, et il se pourrait
qu’il porte haut les couleurs de sa famille. On dit qu’il a déjà mis en marche
son peuple à la reconquête de la cité.
Les mots de Thiuda me revinrent en mémoire : « Tu
me trouveras en train de lui livrer bataille… je t’invite à y participer à mes
côtés. »
— Où se trouve cette cité de Singidunum ?
demandai-je à Amalric.
— En Mésie Supérieure, Votre Sérénité. Très en aval de
notre Danuvius (il fit un geste en direction du fleuve), à la frontière entre
cette province et la terre barbare qu’on appelle aujourd’hui la Vieille Dacie.
À peu près à trois cent soixante milles romains [118] d’ici.
— Si je comprends bien, le chemin le plus rapide pour
s’y rendre serait la rivière ?
— Akh, ja. Personne de sensé ne tenterait de s’y
rendre à cheval, à travers des forêts inconnues et des peuples sans doute
hostiles…
Il marqua une pause et écarquilla les yeux.
— Ôtez-moi d’un doute, Votre Sérénité… vous n’envisagez
tout de même pas de vous y rendre ?
— J’y songe.
— En pleine guerre ? Vous n’y trouverez, je vous
le dis tout de suite, aucun projet dans lequel investir. Sans parler du confort
et des distractions dont vous jouissez ici. Rien non plus de bien
« plaisant » à attendre là-bas, pour reprendre votre expression de
tout à l’heure… dans quelque domaine que ce soit, si vous voyez ce que je veux
dire.
— Il y a des choses plus importantes et plus
intéressantes, croyez-moi, que ce commerce grossier. Quelque chose de mille
fois plus exaltant que l’indolence, les distractions et les plaisirs de la
chair.
— Mais, je…
— J’ai justement besoin de m’aérer l’esprit, voyez-vous.
Quoi qu’il en soit, avant de partir, je vais devoir rendre visite à un
fabricant de flèches, car je compte lui en acheter une bonne provision. Pendant
que je m’en occupe, Amalric, ayez la bonté d’envoyer quelqu’un au bord du
fleuve. Faites-moi louer par ses soins un batelier susceptible de me conduire à
Singidunum… ou pas trop loin de cette ville, s’il a peur de s’y rendre. Qu’il
dispose d’une embarcation suffisante pour transporter mon cheval. Veillez à la
faire charger de provisions en quantité suffisante pour son équipage et pour
moi. Pour ma monture, prévoyez une ample provende… pas seulement de foin, mais
aussi de bon grain, afin de lui donner des forces en prévision des efforts à
venir. Lui a-t-on d’ailleurs donné chaque jour de l’exercice, pendant mon
absence ? C’est qu’il va devoir rester désœuvré un moment, le temps de
notre voyage.
— Enfin, Votre Sérénité…, fit Amalric, d’un ton de
dignité offensée.
— Akh, d’accord, d’accord. Je n’avais même pas
besoin de le demander, je vous fais mes excuses. Je sais que je peux vous faire
confiance pour tout ce qu’il sera utile de prévoir. Pensez aussi à me préparer
votre note, car à l’aube, je serai parti.
*
Rien ne m’avait forcé à le faire, et je n’avais pas non plus
pris cette décision sur un coup de tête. La raison me poussant à ce départ
arrivait à point nommé. Ni Thornareikhs ni Veleda ne nourriraient le moindre
regret de quitter Vindobona. L’idée de passer le restant de mes jours sans
croiser au hasard d’une rue l’ignoble veuve Dengla me satisfaisait pleinement.
Quant aux filles et aux femmes qui avaient été mes amies, voire davantage… ma
foi, où que j’aille, j’avais des raisons de croire qu’il s’en trouverait tout
autant.
Je me sentais prêt à reprendre mon voyage. J’avais envie de
renouer mes liens d’amitié avec Thiuda, de rencontrer pour la première fois les
Goths, mes compatriotes, et de présenter mes respects à leur –
notre – nouveau roi. J’avais aussi assez envie, depuis longtemps, de
prendre part à une vraie guerre. C’est donc de manière délibérée, sans regarder
en arrière, que je me dépouillai de mon identité de Thornareikhs, alias
Tornaricus, ainsi que de celle de Veleda – au moins pour le moment –
et m’enfonçai dès l’aube du lendemain dans les brumes de la rivière. Redevenu Thorn,
tout simplement.
PARMI LES GOTHS
33
La descente du fleuve fut aussi tranquille que plaisante,
car après s’être dirigé quelque temps vers l’est, le Danuvius, virant
résolument au
Weitere Kostenlose Bücher