Thorn le prédateur
comme le poing ou des
boules de feu faites de cire trempée dans l’huile. Du haut des tours et des
créneaux ne tombaient que quelques flèches, lancées telles de méprisantes répliques.
La maison de Thiudareikhs n’avait rien de bien différent de
celles où stationnaient les hommes de sa troupe, excepté – comme je ne pus
m’empêcher de le remarquer – que la famille qui y vivait comprenait une
assez jolie fille, qui ne cessait de rougir dès qu’elle regardait le roi. Les
membres de cette famille étaient du reste ses seuls serviteurs. Il n’avait
visiblement pas besoin d’un aréopage de courtisans, d’auxiliaires,
d’ordonnances ou autres subordonnés. Quelques-uns de ses guerriers stationnaient
à la porte donnant sur la rue, faisant office de messagers, et de temps à
autre, un de ses centurions et décurions entrait dans la maison pour venir au
rapport ou recevoir des ordres. Mais aucun garde ou laquais obséquieux ne
s’interposa lorsque je me présentai à l’entrée, et aucun cérémonial de
réception ne me fut imposé.
Il n’empêche, quand je pénétrai dans la pièce très simple où
il était assis, maintenant débarrassé de son casque et de son armure et vêtu
d’une tunique ordinaire, sans aucun signe de commandement royal, je me sentis
contraint de mettre un genou en terre devant lui et d’incliner la tête.
— Vái ! Qu’est-ce que cela ?
protesta-t-il d’un léger gloussement. Les amis n’ont pas besoin de
s’agenouiller devant leurs amis.
Sans relever la tête, je dis en direction du sol
lambrissé :
— Je ne sais absolument pas comment l’on salue un roi.
Je n’en ai encore jamais rencontré.
— Lorsque nous nous sommes vus la première fois, je
n’étais pas roi. Continuons donc à nous comporter aussi naturellement que de
simples camarades, comme nous l’avons toujours fait. Relève-toi, Thorn.
J’obéis et croisai son regard, d’homme à homme. Je savais
qu’il était différent du Thiuda de l’époque où il était devenu mon ami. Je
pense que je m’en serais rendu compte même si je n’avais pas connu sa véritable
identité. Bien qu’il n’arborât aucun des insignes de la royauté, la naturelle
dignité de cette fonction avait envahi son visage, tout comme son maintien. Ses
yeux bleus pouvaient demeurer par instants aussi légers et espiègles que
lorsqu’il avait arpenté les rues en faisant les louanges de son « maître
Thornareikhs », ils étaient aussi susceptibles de s’assombrir quand il
devenait pensif, ou de rougeoyer d’un feu intérieur quand il parlait de guerre
ou de conquête. Il avait été à l’origine un beau jeune homme, aimable. C’était
à présent un jeune monarque de belle prestance, exceptionnellement bien fait de
sa personne : grand, gracieux, doué d’une musculature robuste, portant une
crinière et une barbe d’or, la peau bronzée par le soleil et tannée par le
vent. Ses manières étaient courtoises, sa nature raffinée, son intelligence
manifeste. Il n’avait besoin ni de pourpre, ni de sceptre, ni de couronne pour
impressionner autrui de son éminence.
Une pensée incontrôlée frappa mon esprit : « Akh ,
que ne suis-je une femme ! » et durant un bref instant, j’enviai sans
équivoque la jeune paysanne rougissante en train d’épousseter de son plumeau
l’appui d’une des fenêtres de la pièce. Mais je réprimai durement cette pensée
et l’émotion née avec elle, pour m’adresser à Thiudareikhs en ces termes :
— Quelle est donc la bonne manière de t’appeler ?
Je ne voudrais pas abuser du fait que nous sommes amis, ni sembler
irrespectueux quand tu te trouves avec tes hommes. Comment un homme sans
distinction est-il censé s’adresser à un roi ? Doit-il t’appeler
« Votre Majesté » ? « Sire » ? Ou plus simplement
« Meins fráuja ? »
— « Pauvre diable » serait sans doute le
terme le plus approprié, fit-il, ne plaisantant qu’à moitié. Mais il se trouve
que durant des années, alors que je vivais à la cour de Constantinople, tout le
monde m’a appelé Théodoric, et je me suis habitué à ce nom. Mon tuteur m’a même
offert ce sceau en or, en cadeau lors de mon seizième anniversaire, afin
d’apposer le monogramme de mon prénom sur mes leçons, lettres et autres papiers
importants. Je l’ai gardé, et continue à l’utiliser. Tu veux le voir ?
Il était assis sur un banc derrière une rude table de
travail encombrée de
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