Thorn le prédateur
la
cuisine pour emprunter au boulanger le bloc de bois avec lequel il imprimait la
lettre Z sur ses pains. Après avoir plié le parchemin vierge exactement de la
même façon que le pactum, je l’aspergeai de cire aux trois mêmes
endroits et imprimai sur la cire chaude l’initiale impériale. Certes, il
manquait autour les fioritures de l’original, mais cela ne sautait pas aux
yeux. Je rendis donc son ustensile au boulanger, et me dirigeai, muni des deux
parchemins, vers la chambre d’Amalamena.
L’odeur s’était déjà intensifiée depuis mon départ et
j’espérais qu’elle ne l’avait pas encore réalisé. Je lui dis juste :
— Vous êtes-vous décidée, Princesse ? Tout est
prêt, excepté Swanilda.
Elle me regarda avec la même expression que lorsque je
l’avais quittée un peu plus tôt : d’un œil circonspect, un peu indécis,
voilé sans doute d’un soupçon de tristesse. Dans un soupir, elle lâcha :
— J’ai encore toutes les peines du monde à vous
imaginer en… à vous envisager sous l’apparence de Veleda.
Je haussai les épaules, et répondis d’un ton dégagé :
— Cela m’arrive aussi, parfois.
C’était un mensonge. Même lorsque j’étais complètement
Thorn, j’étais toujours parfaitement conscient de la présence de Veleda. Mais
je n’avais pas dévoilé tout mon secret à Amalamena, qui croyait simplement que
j’étais une jeune fille déguisée en garçon afin de pouvoir progresser plus vite
dans la vie.
Elle ajouta d’un ton mélancolique :
— Je m’étais attachée à Thorn. Vraiment.
— Thorn aussi tenait à vous, Amalamena.
— Cela va me coûter de le quitter…
Étant donné la gravité de son mal, elle aurait de toute
façon été amenée à le quitter tôt ou tard, et sans doute le savait-elle. Mais
je préférai donner à cette inéluctable séparation un tour plus héroïque, et
déclarai :
— Ne perdez pas de vue une chose, Princesse. Vous et
moi sommes des rouages d’un événement dépassant largement le simple cadre de
nos destins individuels. Si l’un de nous venait à manquer de volonté et de
courage dans l’accomplissement de cette mission, ne serait-ce pas bien plus
regrettable ?
— Ja… ja…
Elle eut un nouveau soupir, et redressa ses sveltes épaules.
— Veleda, vous portez le nom d’une ancienne prêtresse
de la Vieille Religion, qui dévoilait les secrets. Avant que je n’autorise
Swanilda à partir, dites-moi la vérité : court-elle un danger ?
— Probablement moins que vous et moi. La jeune fille
est une cavalière accomplie, elle et moi sommes sensiblement de la même taille.
Habillée avec les vêtements masculins que je porte d’ordinaire, montée sur l’un
de nos chevaux au lieu de sa conventionnelle mule, elle se fondra dans le
paysage comme n’importe quel voyageur. Je crois même que c’est la seule d’entre
nous qui puisse actuellement quitter incognito Constantinople. Ce sont donc
précisément les ordres que j’aimerais que vous lui donniez : qu’elle
quitte les lieux au cœur de la nuit, et se hâte vers Singidunum, munie de ceci.
Je tendis à Amalamena le pactum authentique. Comme
elle semblait encore indécise, je détaillai la situation en ces termes :
— On peut supposer que chacun des soldats de notre
compagnie est d’ores et déjà sous la surveillance des sicaires de Zénon. Si
l’un d’eux venait à s’absenter brusquement, on le remarquerait aussi vite que
si vous et moi tentions de le faire. Je doute, en revanche, que votre cosmeta ait autant attiré l’attention, ayant toujours été avec vous, dans la carruca comme en dehors. Quand notre colonne s’ébranlera, vous et la supposée Swanilda
serez dans la voiture. Je mènerai le cortège en armure, avec la plus martiale
pompe, arborant triomphalement ce pactum factice.
Je lui montrai alors le parchemin contrefait.
— Aux yeux de n’importe quel espion de la cité, notre
cortège semblera complet. Tout katáskopoi qui nous observerait
nuitamment verra une servante prendre soin de vous… et dormir en votre
compagnie.
Cette évocation fit légèrement rougir la princesse, et je fus
heureux de constater qu’elle avait encore assez de sang et de fluides vitaux
pour en être capable. Mais je me hâtai d’ajouter :
— Vous avez vu Veleda dévêtue. Elle n’est pas
différente de Swanilda et de vous.
C’était bien sûr un autre mensonge, mais ce qui suivit ne
l’était pas.
— La seule
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