Thorn le prédateur
je devais le parapher de mon titre et de ma
signature.
J’étais loin d’avoir une calligraphie aussi irréprochable
que la sienne, mais je louai de manière extravagante la qualité du parchemin
sur lequel j’étais en train de signer.
— Oud, une cour impériale ne saurait utiliser
que les matériaux les plus coûteux, fit-il fièrement.
— Je me demandais…, fis-je avec une retenue bien
calculée. Cela vous dérangerait-il si je ramenais chez moi l’un de ces parchemins,
pour montrer à nos scribes de quels moyens extraordinaires vous disposez
ici ?
— Mais bien sûr, sans aucun problème, Presbeutés. J’en
avais apporté deux au cas où je raterais l’exécution du premier, ce qui n’a pas
été le cas.
Je le remerciai avec effusion, roulai le parchemin avec
grand soin, et le glissai dans le pli de ma tunique. J’étais en train de
raccompagner Eleón vers la porte, quand il salua de son nom un autre chétif
vieillard qui arrivait :
— Khaîre Artá. Tu as déjà achevé le pactum de l’empereur ? Eh bien je vais t’attendre, ainsi nous retournerons
ensemble au palais.
Ce deuxième grammateús était accompagné de
l’interprète Seuthes, qui me demanda si je voulais qu’on me lise à voix haute
ce qu’avait écrit Zénon, et si oui, dans quelle langue. Je répondis que le grec
ferait l’affaire. Il déroula le document et déclama, appuyant ses mots de
grands gestes oratoires :
— Le Sebastós Zénon l’Isaurien, Basileus de l’Empire romain d’Orient, le pieux, le fortuné, victorieux et toujours
auguste Zénon, conquérant renommé des Antes, des Avars et des Koutrigours,
salue cordialement depuis sa Nouvelle Rome de Constantinople Thiudareikhs
l’Amale, fils de Thiudamer, ainsi que tous ses généraux, ses sénateurs,
consuls, préteurs, tribuniciens et maréchaux. Si vous et vos proches sont en
bonne santé, Thiudareikhs, nous nous en réjouissons. Moi et les miens sommes de
même…
Le message abordait ensuite l’affaire proprement dite, avec
autant de pompeuses circonlocutions qu’Eleón en avait mises dans le mien –
et dans le dos de Seuthes, le vieux grammateús me fit un clin d’œil
entendu. Cela ne m’empêcha pas de concentrer mon attention, au cours de sa
lecture, sur les points cruciaux, et je fus heureux de constater que Zénon
avait bel et bien accordé les faveurs promises : terres de Mésie
Supérieure, paiement annuel en or, commandement en chef des forces
frontalières. Il concluait par une autre débauche d’effusions exagérées au plus
haut point, omettant toujours soigneusement toutefois de qualifier Théodoric de
« roi des Ostrogoths », et de lui donner un titre plus élevé que
celui de Magister Militum. Ayant terminé sa lecture, Seuthes retourna le
document pour que je puisse constater la présence, impérieusement apposée au
bas du texte, de l’envahissante et prétentieuse signature de Zénon, et dessous
l’initiale zêta ornée de fioritures imprimée en relief sur un sceau de
cire pourpre.
J’acquiesçai d’un signe de tête et dis :
— C’est acceptable. J’espère que Zénon trouvera
également mon acte de cession à sa convenance.
Seuthes rendit le pactum à Artá, qui ne l’enroula
point, mais le plia de façon compliquée. Seuthes préleva une chandelle sur un
support mural et fit tomber de la cire fondue en trois endroits du parchemin
plié. Artá sortit de sous ses robes le lourd sceau d’or de l’empereur, imprima
les scellés chauds de l’initiale impériale et me tendit le document.
— Je vous remercie, mes braves, fis-je. Notre colonne
s’ébranlera dès que l’empereur m’aura fait savoir qu’il agrée l’acte rédigé par
mes soins. Demain dès l’aube, s’il en donne l’ordre. Nous ferons porter le pactum aussi vite que possible au roi Théodoric. Soyez aimable de le lui dire.
Après leur départ, je m’assis sur une petite table de
porphyre et examinai le pactum plié. Je sortis de sous ma tunique le
parchemin vierge que m’avait offert Eleón, qui s’avéra être de taille, de
teinte et de qualité identiques à celui émanant de Zénon. J’aurais pu très
facilement contrefaire la signature fleurie de l’empereur, mais il m’aurait
fallu des semaines d’une falsification minutieuse pour reproduire tous les mots
qu’avait calligraphiés Arta. Pour le moment, la seule chose dont j’avais
besoin, c’était une imitation de l’aspect du document. Je me rendis donc à
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