Thorn le prédateur
homme véritable, ou la femme masculine que tu
pourrais voir en Veleda, alors ce serait de toi que je serais…
— Ça suffit, dit-elle abruptement. Je regrette de
t’avoir posé cette question. C’est ridicule. Me voilà en train de chercher
querelle au sujet d’un homme qui se trouve être mon propre frère, à une femme
qui préfère être un homme, et qui maintenant avoue… vái !
Elle engloutit le reste de son vin, et ajouta d’un ton
désespéré :
— Mes parents ont fait preuve de prescience lorsqu’ils
m’ont appelée Lune. Cette situation frôle effectivement la démence [147] ,
pour le moins.
— Ne, ma chère Amalamena, fis-je avec douceur.
Il n’y a rien de dément dans l’acte d’aimer. Et si tu éprouves ce sentiment
pour un frère, tu peux sans doute accepter qu’une sœur puisse t’aimer à son
tour…
Je laissai ma phrase en suspens, et ajoutai :
— Il faut juste que tu m’indiques comment.
Elle se recroquevilla dans le lit, tira les couvertures
presque jusqu’à ses yeux, se mit à trembler de façon perceptible, et finit par
répondre, de la voix minuscule d’un tout petit enfant :
— Tiens-moi, Veleda. Tiens-moi juste dans tes bras. Je
suis si terrifiée à l’idée de mourir…
Ainsi fis-je. J’ôtai ma robe de chambre, me coulai entre les
couvertures, laissant glisser le parchemin sous la paillasse, à l’endroit où
j’étais allongé, et étreignis Amalamena contre moi. Hormis sa fine chaîne en or
parée de la miniature du sceau de Théodoric, du marteau doré de Thor et de ma
fiole de lait de la Vierge, la princesse ne portait qu’une bande pareille à la
mienne autour des hanches, pour maintenir le pansement contre son abdomen. Comme
je l’avais remarqué dès notre première rencontre, ses seins étaient ceux d’une
jeune fille, pas plus proéminents que les miens. Je fus donc en mesure de la
serrer tout contre moi, bien au chaud, en sécurité. Cela dura toute la nuit,
puis toutes celles qui nous restèrent à vivre, et ce fut la seule expression
d’amour qui eut lieu entre nous, la seule affection dont nous eûmes jamais
besoin.
*
Bien que je me sois levé et habillé tôt le lendemain matin,
l’ oikonómos Myros me réclama avant que j’aie pu échanger le moindre mot
avec Daila. Humant l’air avec curiosité, il m’annonça que Zénon avait été
pleinement satisfait de mon document lui cédant possession de Singidunum. Il
ajouta, toujours en reniflant l’atmosphère, que le Sebastós me
complimentait même d’avoir su rédiger la cession dans des formes aussi
« académiques ». Le chambellan n’était nullement en train de se
moquer de moi à la façon sarcastique et hautaine des eunuques ; il
continuait à plisser le nez, et je finis par comprendre pourquoi. C’était le brómos
musarós d’Amalamena qui avait imprégné mes propres vêtements, mes cheveux
et ma peau. Mais Myros ne posa aucune question au sujet de l’odeur, et comme je
ne lui donnai de mon côté aucune explication, il conclut son message en
disant :
— Par conséquent, Presbeutés Akantha, vous et
votre colonne pourrez partir dès que vous serez prêts, et l’empereur vous fait
confiance pour le faire sans délai.
— Nous serons prêts, fis-je, dès que nous aurons tous
pris un repas. Et bien sûr, dès que vous aurez formé l’escorte de gardes et de
musiciens qui doit nous accompagner jusqu’à la Porte d’Or.
Il cessa de renifler aux quatre vents et battit des
cils :
— Comment ? Une nouvelle escorte officielle ?
Ma foi, mais…
— Ne me dites pas que cela ne s’est jamais vu. Je crois
que le pacte que nous venons de signer, votre maître et moi, est de la plus
haute importance. Cela mérite bien une fanfare publique, vous n’êtes pas
d’accord ?
Dans un soupir, il lâcha, avant de prendre congé :
— L’escorte vous sera accordée.
Je me mis immédiatement en quête de Daila, qui me dit avant
même que j’aie pu l’interroger :
— La petite cosmeta est partie à minuit, Saio Thorn, à l’insu des cohortes de vigiles nocturnes et, je pense, de tout espion
ou de n’importe qui d’autre. Je l’ai conduite jusqu’à la Porte de Rhégion, qui
n’est guère fréquentée, même de jour. De là, elle n’aura eu aucun mal à trouver
son chemin jusqu’à la Via Egnatia. Et cette petite jeune fille a l’esprit
vif ; elle n’aura aucune difficulté non plus à trouver les routes qui l’emmèneront
au
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