Thorn le prédateur
à pas lents, rangés en file derrière Wyrd qui, penché sur sa
selle, scrutait la neige fondue et la boue de la route. Fabius le suivait de
près, et en faisait autant. Je fus d’emblée très excité à l’idée de me lancer
sur la piste de l’un de ces infernaux trublions de Huns, mais je ne tardai pas
à en revenir, vite lassé par le caractère pesant de cette chasse ennuyeuse, et
me rabattis sur le simple plaisir de monter un cheval splendide. Même au pas,
et bien qu’une selle nous séparât d’un contact direct, Velox parvenait à me
communiquer une sensation de tension ramassée, et ses muscles de feu semblaient
chargés d’une formidable énergie potentielle, me donnant l’impression d’une
sorte de volcan équin n’attendant que l’autorisation d’entrer en éruption.
J’ignore dans quelle mesure le jeune Becga, derrière moi, pouvait le ressentir,
mais il gardait les bras étroitement serrés autour de ma taille, comme s’il
craignait que je ne lance Velox dans un galop soudain qui déroberait l’animal
sous lui.
Brusquement, Wyrd fit halte et s’interrogea à haute voix,
pensif :
— Le Hun a quitté le chemin à cet endroit. Pourquoi si
tôt ?
Fabius, d’un bond athlétique, se releva de sa position
assise pour se mettre debout sur son cheval. Il inspecta les arbres plantés sur
la gauche, direction qu’indiquait Wyrd, et annonça au bout d’un instant :
— Il n’est plus en vue. Heureusement, ses traces sont
visibles.
Du coup, suivant toujours Wyrd qui ouvrait la piste, nous
quittâmes à notre tour le chemin, à travers champs, serpentant entre des
bouquets d’arbres et des propriétés agricoles. Nous avions encore ralenti le
pas, soucieux de ne point trop approcher notre proie. Mais Wyrd stoppa derechef
et gronda :
— Par les prêtres auto-châtrés de Cybèle, mais le Hun a
encore obliqué ! Il revient vers Basilea.
— Se pourrait-il qu’il cherche à s’assurer qu’il n’est
pas suivi ? demanda Fabius.
— Possible. Nous n’avons pourtant pas le choix, il nous
faut rester dans ses traces.
Ce que nous fîmes, bien qu’ayant encore ralenti maintenant.
Le soir était tombé, épaississant d’autant la pénombre. Après un temps qui me
sembla interminable Wyrd fit une nouvelle halte, et égrena à voix haute un
chapelet de jurons si copieux qu’ils durent hérisser le poil de tous les saints
et les dieux peuplant les deux de toutes les religions. Je craignis même que
ces cris ne donnent l’alerte au Hun que nous pistions, mais apparemment, ce
danger n’était pas à craindre, car Wyrd conclut son éclat ainsi :
— Par les entrailles répandues de Judas Iscariote, la
créature ne s’est pas le moins du monde dirigée vers Basilea ! Elle en a
fait le tour jusqu’au bord du fleuve, qu’elle a atteint en amont de la cité.
Quelque complice devait l’y attendre avec un chaland, et notre homme doit être
en ce moment en train de traverser le Rhenus. Optio Fabius ! Tu vas
filer à la vitesse du vent jusqu’aux docks de Basilea. Trouves-y des barges
avec leur équipage, assez pour nous y faire grimper tous. Remonte-les jusqu’ici
au plus vite… Fouette-les si besoin, et retrouve-nous à l’endroit où nous
t’attendrons. File !
L ’optio partit comme une flèche, et ma monture sembla
n’espérer qu’un ordre de ma part pour bondir à sa suite, mais Wyrd
tempéra :
— Pas besoin de nous presser, gamin. Oh, vái ! Si
ce traître d’esclave a dit la vérité, et je pense que c’est le cas, en
affirmant que les Huns avaient désigné, vers le sud, les Hrau Albos comme leur possible repaire, alors ils lui tendaient un piège délibéré. Je me
suis fait avoir aussi. Ils se trouvent en fait quelque part au nord du Rhenus,
sans doute pas loin d’ici… Qui chercherait ces bandits des montagnes dans les
basses terres s’ouvrant là-bas ?
Nous suivîmes donc les traces, sans hâte excessive mais sans
traîner non plus. L’obscurité nous enveloppait tous, à présent, et je n’étais
plus en mesure de distinguer la moindre piste dans la neige. Mais cela ne
semblait pas poser de problème à Wyrd. Il finit par nous mener à un talus de
gravier au bord de la rivière où, comme il l’avait prévu, des traces explicites
de frottement sur les galets montraient qu’un bateau à fond plat avait accosté
là, avant d’en repartir. Wyrd ajouta quelques jurons fleuris à la collection,
mais il n’était plus rien que nous puissions
Weitere Kostenlose Bücher