Thorn le prédateur
faire désormais, aussi nous mîmes
pied à terre pour remplir nos gourdes dans l’eau du fleuve, et attendîmes.
Ce ne fut pas long. Fabius était peut-être un éternel
râleur, mais quand il s’agissait d’agir, il répondait présent à l’appel. La
nuit n’était pas encore très avancée que nous vîmes approcher à l’ouest, Becga,
Wyrd et moi, une lueur croissante qui se sépara bientôt en trois lanternes
distinctes, dont les reflets s’allongeaient en zigzaguant sur les eaux
turbulentes du fleuve. Le Rhenus étant, comme je l’ai dit précédemment, plutôt
tumultueux à partir de Basilea, les trois barges avaient peiné à remonter
jusqu’ici, bien qu’énergiquement propulsées à la perche par des hommes
nombreux. Je n’aurais du reste pas été surpris de voir Fabius les fouetter pour
de bon, mais les embarcations étaient à l’abri de la fougue de l’ optio, qui
les suivait en chevauchant sur la rive. Dès qu’il nous vit, se gardant de tout
cri intempestif, il imita juste le hululement de la chouette, signal convenu à
l’avance pour leur indiquer le lieu d’accostage.
— Bon travail, Optio, affirma Wyrd dès qu’il fut
descendu de cheval. Si les Huns ont laissé un guetteur sur la berge opposée, il
n’aura rien vu d’autre que trois lanternes. Gardons-nous donc de les éteindre.
Tu vas choisir trois bateliers, et leur en confier une à chacun. Dis-leur de
continuer à remonter le fleuve à pied le long de la rive, jusqu’au matin, ou
aussi loin qu’ils pourront. Les autres vont nous faire traverser ici même, dans
le noir… et en silence.
Comme convenu, partant à intervalles légèrement échelonnés,
trois des nouveaux venus poursuivirent la remontée de la rivière, leur lanterne
à la main. Tout guetteur hun en faction sur l’autre rive penserait forcément
que les barges de passage avaient continué leur chemin sans faire halte.
Pendant ce temps, agissant aussi discrètement que possible, les poursuivants
que nous formions s’embarquèrent pour effectuer la traversée. Je m’attendais à
ce que les chevaux renâclent face à ce mode de transport inhabituel, mais ils
avaient apparemment pratiqué la chose de longue date et ne bronchèrent pas. Pas
plus que Becga, qui devait avoir franchi d’autres cours d’eau pour venir des
terres franques. Le seul à se montrer hésitant et maladroit, c’était moi.
— Vái ! Tu minaudes comme une femme !
gloussa l’un des bateliers, qui dut me maintenir le coude pour garder
l’équilibre.
C’était, à ma décharge, la première fois de ma vie que je
montais sur une embarcation.
Wyrd déclara qu’il n’y avait aucun moyen d’évaluer la dérive
oblique qu’avait pu opérer la barge du Hun qui nous précédait. Aussi
demanda-t-il aux bateliers d’appuyer avec force sur leurs perches, de manière à
franchir le fleuve suivant la trajectoire la plus directe. Une fois sur l’autre
rive, il nous serait facile de la suivre jusqu’au point où notre ennemi avait
accosté. Aussi les propulseurs de nos embarcations fournirent-ils d’épuisants
efforts, mais l’obscurité était telle qu’il était difficile d’évaluer avec
précision s’ils avaient suivi un trajet rectiligne, ou glissé sur une longue
diagonale. Tout ce que je vis, c’est que le clapotis impérieux du courant,
frappant de son écume le flanc droit du bateau, nous éclaboussait avec
abondance. Pour éviter autant que possible de nous faire tremper jusqu’aux os,
nous restâmes debout toute la traversée, et de peur que le flot ne nous
chahutât au point d’envahir le bateau et de le faire couler, j’agrippai par
instinct de protection le bras de Becga, tout en gardant l’autre main crispée
sur l’encolure de mon inébranlable Velox. Quant à mon juika-bloth, comme
s’il avait tenu à me rassurer, il se maintint fermement accroché à mon épaule,
alors qu’il aurait aisément pu voler jusqu’à la berge.
Notre trajet dans le noir fut fort long, et l’air de la
rivière était bien plus vif que sur le bord, ce qui nous fit d’abord frissonner,
puis grelotter plus franchement, avant de nous figer dans une prostration
engourdie. Soudain, des branches griffèrent le col de mon manteau et la
crinière de mon cheval. Ou bien la rivière avait débordé au point d’engloutir
les racines des arbres de la rive, ou nous avions accosté sur un rivage
marécageux. Toujours est-il que les violents remous et gargouillement produits
par les flots
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