Titus
ressemblait à son père Flavius Vespasien qui m’avait fait penser, lorsque je m’étais présenté à lui afin de faire partie de son état-major, à un vieil arbre noueux, aux branches courtes mais qu’aucun vent ne pourrait ni déraciner ni briser. C’était un général de cinquante-sept ans qui avait la silhouette et la démarche d’un centurion.
Plus jeune de trente ans, Titus avait déjà cette allure-là, les épaules larges, les cuisses et les mollets épais. Mais le visage de ce soldat, son regard étaient ceux d’un être subtil, non pas seulement madré et retors, comme un homme que la guerre a averti de toutes les ruses humaines, mais comme un stratège habile et réfléchi qui a dû affronter ses ennemis non seulement sur les champs de bataille, mais aussi dans les salles du palais de Néron, où à la cruauté de la guerre s’ajoutaient les perfidies et les intrigues des rivaux et des courtisans.
Cela s’inscrivait sur son visage, qui ne devait rien aux traits de son père mais sans doute beaucoup à sa mère Domitillia, morte, dont on m’avait vanté la beauté et les charmes – dont elle avait beaucoup usé avant de se marier à Flavius Vespasien.
J’ai pensé à cette femme en découvrant Titus allongé dans la cabine qu’il occupait sous la plateforme. D’un mouvement de tête, il a chassé les deux jeunes hommes allongés à ses pieds comme des chiens dressés.
Il s’est redressé, a croisé les mains derrière sa nuque, accompagnant de son corps le balancement de la galère.
La tempête d’hiver qui nous avait malmenés durant trois jours s’était apaisée, la houle devenant plus longue, les vagues moins rageuses, la mer assoupie sous la pluie qui, depuis que le vent avait faibli, avait noyé le ciel et fermé l’horizon.
Titus a suivi des yeux les deux épilés qui sortaient de la cabine.
— Tu n’aimes pas le plaisir, Serenus, a-t-il dit, donc tu n’aimes pas la vie. Mais peut-être, comme quelques fous orientaux, crois-tu à la résurrection ? À Rome, les délateurs prétendaient que Sénèque, le stoïcien, était devenu un disciple de Christos. Es-tu de cette secte juive ?
Il a souri, écarté les mains.
— Que sais-tu des Juifs ? On me dit qu’ils adorent dans leurs temples une tête d’âne, qu’ils engraissent des enfants grecs et romains pour les égorger et s’en repaître le jour de leur fête.
Il a porté la main à son sexe en grimaçant.
— Et cette idée de se faire trancher le bout du phallus, de se circoncire… c’est bien cela, n’est-ce pas ?
Il s’est penché vers moi.
— Tu n’es pas circoncis, Serenus ?
Il a ri, rejetant la tête en arrière.
— On dit, a-t-il repris, que certains des disciples de Christos ne le sont pas.
Il a eu une moue de mépris.
— Les Juifs sont singuliers. Ce ne sont pas des barbares comme ceux que j’ai combattus en Bretagne et en Germanie. Ils sont plus fiers et plus savants que des Grecs. Ils se croient supérieurs à tous les peuples. Et, cependant, ils n’ont pas assez d’intelligence pour comprendre que – il a serré son poing gauche – nos légions vont les broyer comme un oiseau que je serrerais dans ma main. Nous leur avons laissé leur roi, Agrippa, leurs prêtres, une reine, Bérénice, ils disposent librement de leurs temples. Certains d’entre eux sont devenus citoyens romains. Ils sont des milliers à Rome. Ils pratiquent leur religion comme ils l’entendent…
— On les tue, on les crucifie, ai-je murmuré.
— Tu les défends, Serenus ?
Sa voix était plus chargée d’étonnement et de curiosité que de colère.
Alors j’ai dit ce que je savais des Juifs.
J’avais appris à les connaître en lisant l’Histoire de la guerre servile de Spartacus que mon aïeul, Gaius Fuscus Salinator, avait écrite. Il y faisait l’éloge d’un homme sage, religieux et savant, Jaïr le Guérisseur, né en Judée et qu’il avait recueilli chez lui, dans sa villa de Capoue, celle-là même où j’écris ces Annales.
Au cours de ma vie à Rome, j’avais appris qu’un prêtre juif, Josèphe Ben Matthias, avait rencontré Poppée, l’impératrice, dont on disait qu’elle s’était convertie à la religion des Juifs. Ce Josèphe avait rendu visite à Sénèque, et mon maître avait été fort impressionné par le savoir de cet homme jeune qui avait lu les Grecs et était venu à Rome pour obtenir la libération des prêtres juifs emprisonnés. Grâce
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