Tragédies Impériales
de cigarettes, mais n’en effectuait pas moins des marches ou des chevauchées d’une longueur propre à décourager un soldat endurci. Elle était déjà l’impératrice errante… en attendant d’être un jour celle de la solitude.
Et pourtant, il était bien vrai que son époux lui gardait intact l’amour des premiers temps de leur romanesque mariage, qu’il souffrait de la voir s’éloigner constamment de lui, car pas un instant, elle n’avait cessé d’être pour lui l’adorable Sissi d’autrefois. Mais entre ces deux êtres si dissemblables, il y avait l’Empire, énorme, écrasant qui tenait François-Joseph rivé comme un forçat à sa table de travail de la Hofburg ou de Schönbrunn. Et jamais Sissi, n’était parvenue à assouvir sa fringale d’espace et de liberté.
Tout cela, Mme Schratt le savait et, au fond de son cœur bien féminin, elle laissait toute sa sympathie aller vers l’empereur, qu’elle plaignait. Elle savait que si les étrangetés de sa femme n’étaient jamais parvenues à entamer son amour pour elle, il ne parviendrait jamais à les comprendre. Quel homme normal l’aurait pu, d’ailleurs ? Et il y avait chez François-Joseph un profond appétit de tranquillité, de bonheur simple et paisible. Dans la peau d’un gentilhomme campagnard, cet homme-là eût été parfaitement heureux. L’empire en avait fait un pointilleux bureaucrate.
— Vous ne répondez pas ? fit l’impératrice, un peu surprise du silence gardé par la comédienne. Cela vous ennuie-t-il tellement, ou même cela vous gêne-t-il dans votre vie privée de donner votre amitié à l’empereur ?
— Je n’ai pas de vie privée, Madame. Quant à mon amitié, elle est toute à l’empereur, s’il veut bien l’accepter.
— Ainsi, vous acceptez de vous occuper de lui… de le distraire ?
— De tout mon cœur !
— Alors, c’est bien ! Je vous remercie sincèrement, Madame Schratt, et j’ajoute que c’est toujours avec le plus grand plaisir que je vous verrai au palais.
La bizarre visite étant terminée, Élisabeth s’était levée, offrait sa main à la comédienne, qui s’inclina profondément pour la baiser. Un pacte venait de se conclure entre deux femmes. Un pacte qui avait pour but tout simple d’apporter un peu de détente à un homme écrasé sous sa charge.
Afin de donner à leur entente une sorte de consécration officielle, qui aurait l’avantage d’imposer silence aux cancanières, Élisabeth commanda au peintre officiel de la cour, Heinrich von Angeli, un portrait de Mme Schratt qu’elle désirait offrir à l’empereur. Et plusieurs fois, tandis que Katharina posait dans l’atelier de l’artiste, elle y vint avec François-Joseph pour surveiller les progrès du travail.
La livraison du portrait allait valoir à la jeune femme la première des innombrables lettres que le souverain écrirait à son amie en trente longues années d’attachement.
« Je vous prie de regarder ces lignes comme une marque de la profonde reconnaissance pour la peine que vous avez prise de poser pour ce portrait de M. Von Angeli. Une fois de plus, je dois vous répéter que jamais je ne me serais permis de vous demander un pareil sacrifice et que ma joie pour ce précieux cadeau est d’autant plus grande. Votre dévoué admirateur. »
Lettre d’amour ? Lettre d’affection bien plutôt, et jamais, par la suite, François-Joseph n’emploiera le langage plein de tendresse qu’il réservait à Sissi. Il appellera Katharina « Très chère amie » ou « Chère bonne amie » mais jamais « Mon ange chéri », comme il avait coutume de le faire pour sa femme. De temps en temps, il ira jusqu’à l’appeler Kathy, mais jamais personne ne pourra se vanter d’avoir entendu entre eux, ou lu dans leur correspondance, un terme indiquant une intimité plus grande. Pour sa part, Katharina ne dira jamais que Sire et Votre Majesté. Et pourtant…
Au matin du 30 janvier 1889, alors que Mme Schratt prenait son petit déjeuner à la Hofburg, en la compagnie et dans l’appartement de la comtesse Ida de Ferenczi, dame d’honneur préférée de l’impératrice, celle-ci entra plus pâle qu’une morte et, très vite, d’une voix qui se brisait, demanda à la comédienne de se rendre au plus vite auprès de l’empereur qui avait « besoin d’elle ». Puis, elle ajouta dans un souffle : « Le comte Hoyos vient d’arriver de Mayerling… Mon fils est mort… et la
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