Tragédies Impériales
hôtes.
On se prend à regretter la discrétion avec laquelle les journaux de l’époque relataient les grandes manifestations officielles et mondaines. On aimerait mieux connaître les détails de ces fastueuses réceptions des Tuileries et de celles, non moins fameuses, que donnait, dans l’admirable hôtel de Conti-Charolais, 101 rue de Grenelle, l’élégante et remuante princesse Pauline de Metternich. Jamais, sans doute, Paris ne vit ni ne reverra une ambassadrice comme celle-là. Elle semblait avoir pris à tâche de collectionner les superlatifs. Pauline de Metternich était la plus élégante, la plus spirituelle, la plus somptueuse, la plus turbulente… et la plus laide de toutes les femmes de chefs de missions diplomatiques. Encore, sa laideur n’était-elle que toute relative dans une cour où les beautés abondaient autour d’une impératrice qui était elle-même l’une des plus jolies femmes d’Europe. Suivant sa propre expression, elle n’était pas jolie, mais elle était pire, un mot qu’elle avait emprunté à feu la duchesse d’Abrantès. Très mince, grande et très brune, elle avait un curieux visage de pékinois, à la bouche trop grande mais aux yeux noirs pétillant de vie, et elle s’habillait comme personne. C’est elle qui découvrit et lança le couturier Worth, et ses toilettes, comme ses bijoux, étaient célèbres.
Le détail de la fête qu’elle offrit au frère et à la belle-sœur de son souverain manque mais on peut faire confiance à la princesse pour l’imaginer fastueuse.
Le mercredi 9 vit l’archiduchesse Charlotte à Versailles pour la visite du musée, Madame de la Pœze et la comtesse Kollonitz l’accompagnaient. Elle y fut reçue par le surintendant des Beaux-Arts qui, par une délicate attention, avait fait fermer devant l’auguste visiteuse les salles renfermant les toiles peintes à la gloire de la récente campagne d’Italie. Il eût été de mauvais goût d’étaler Magenta et Solférino sous les yeux d’une femme que ces deux victoires avaient chassée de son palais. Le soir, l’Opéra était au programme. On y donnait la ou les de Venise, avec Mlle Boschetti dans le rôle de Luscilla. Puis la première représentation d’un opéra nouveau, Magnus, de MM. Cormon et Carré, musique d’Ernest Boulanger. On ne sait si les princes furent contents de leur soirée car le « Petit Journal » du lendemain écrivait : « Monsieur Cazeaux était tellement enroué qu’il nous a été impossible de saisir un mot de son rôle, mais la pièce avait eu un grand succès à la répétition générale. »
Le temps et les événements semblaient d’ailleurs se liguer pour contrarier cette visite qui préludait à un drame. Un vent violent soufflait en tempête sur Paris, couchant plusieurs arbres dont un peuplier dans le jardin des Tuileries.
Ce vent continua le lendemain, obligeant les dames à se calfeutrer à l’intérieur du palais. Des piétons étaient renversés et les voitures mêmes n’étaient pas stables. Celles qui amenèrent le jeudi soir, une longue file d’invités pour le très grand dîner diplomatique aux Tuileries eurent toutes les peines du monde à se ranger le long de la rue de Rivoli. Mais cela n’empêcha tout de même pas, le vendredi matin, l’empereur et l’archiduc d’aller chasser à Versailles. Le soleil, d’ailleurs, se levait, mais au retour, une fâcheuse nouvelle attendait les chasseurs. Le roi de Bavière, Maximilien II, était mort le matin même d’une crise d’érésypèle, à l’âge de cinquante-deux ans. C’était le deuil de cour d’autant plus obligatoire que l’archiduchesse Sophie, mère de Maximilien, ainsi que l’impératrice Élisabeth étaient toutes deux des Wittelsbach. On annula la soirée théâtrale prévue pour le soir-même et qui devait conduire les hôtes de la France à l’Odéon où le Marquis de Ville-mer , de George Sand, faisait fureur.
Ce vendredi soir, Charlotte et Maximilien se contentèrent de faire, vers dix heures, une apparition à l’ambassade d’Autriche où les chefs du mouvement monarchique mexicain, Gutteriez Estrada et Miramon, avaient réuni quelques réfugiés de marque afin de les présenter à leurs futurs souverains. Le départ de Paris étant prévu pour le dimanche soir, Charlotte employa le deuil forcé à faire quelques courses urgentes. C’est ainsi que la Compagnie lyonnaise put s’enorgueillir d’une importante commande de soieries destinées
Weitere Kostenlose Bücher