Tragédies Impériales
plus lourd. Maximilien jouait de l’orgue et cultivait les fleurs, Charlotte brodait et jouait de la harpe. Aucun enfant ne s’annonçait…
Les deux époux, isolés dans leur prison dorée, se demandaient ce qu’il allait advenir d’eux quand, un matin de printemps 1862, un homme élégant et prolixe se présenta à Miramar. Il venait de la part de l’empereur Napoléon III, se nommait Guttierez Estrada. C’était un Mexicain, et il avait d’étonnantes, de passionnantes choses à dire.
— Ah ! prince, ne daignerez-vous pas devenir le sauveur du Mexique ? Apportez-lui le secours de votre grande patrie dont mon pauvre pays ruiné faisait autrefois partie comme l’un des plus beaux joyaux de la couronne de Charles Quint.
Guttierez Estrada parlait bien. Le petit Mexicain laissait déborder cette flamme latine, cet enthousiasme réchauffé au soleil tropical et, assis dans leurs fauteuils, dans un salon de Miramar dont les fenêtres ouvraient sur les magnifiques jardins et sur l’étendue bleue de l’Adriatique, l’archiduc Maximilien et l’archiduchesse Charlotte l’écoutaient, stupéfaits et déjà ravis. Ce fut Charlotte qui traduisit leur sentiment à tous deux :
— Régner sur le Mexique ? Vous nous offrez de porter couronne dans votre pays ? Quelle chose incroyable.
— Je vous offre, reprit Estrada, de relever le puissant empire aztèque d’autrefois, de monter au trône de Montezuma. Le Mexique a besoin d’ordre. Seul un empereur de grande race, aux origines incontestables tranchant sur tant d’agitateurs brouillons sortis de rien, dépositaire de la religion du Christ que chassent les révolutionnaires anarchistes, peut réaliser ce miracle. Le Mexique, Madame, est le plus beau pays du monde.
Le Mexicain était lancé et Charlotte, captivée, l’écoutait, voyant déjà s’étendre devant elle un merveilleux panorama aux vives couleurs. En outre, son orgueil, fait de l’ambition des Cobourg et de la fierté des Bourbons, lui montrait dans une gloire dorée ce signe fascinant de la toute-puissance : une couronne d’impératrice.
En Maximilien aussi, avide de mener enfin une vie digne de lui, et de ses aspirations, l’espérance et la joie palpitaient mais, plus calme, il n’en montrait rien.
— La proposition, fit-il gravement, ne manque pas d’un certain attrait, mais il me faut des garanties, et aussi une pièce exprimant les desiderata d’une majorité représentative de la nation mexicaine, car jamais un Habsbourg n’a usurpé un trône.
Guttierez Estrada ne cacha pas sa satisfaction. Il nota bien vite les paroles de l’archiduc dans son petit carnet, puis déclara :
— Ces conditions ne soulèveront aucune difficulté, Monseigneur, et je pense revenir bientôt vous apporter ce que vous demandez si légitimement.
Comment en était-on arrivé là ? Par quel chemin un Mexicain était-il venu trouver à Trieste un archiduc autrichien pour lui offrir la couronne de son pays ? C’était en fait une histoire compliquée et un peu folle.
Libéré depuis cinquante ans de la tutelle espagnole, le Mexique éprouvait les plus grandes difficultés à se gouverner : deux partis, représentés par deux hommes, se disputaient le pouvoir : le parti conservateur, qui avait son siège à Mexico et dont la tête était Miramon, et le parti libéral de Veracruz, que menait l’Indien Benito Juarez. On s’entretuait quasi quotidiennement et les pronunciamentos succédaient aux pronunciamentos (deux cent quarante en trente-cinq ans). Mais s’il était libéré de l’Espagne, le Mexique devait à l’Europe des sommes énormes que son anarchie ne lui permettait guère de payer et, parmi ses créanciers, le banquier suisse Jecker se montrait le plus intraitable.
Pour tenter de sauver d’insauvables créances, la France, l’Espagne et l’Angleterre étaient intervenues militairement. Mais Napoléon III, et surtout l’impératrice Eugénie, entrevoyant au Mexique un moyen de battre en brèche l’influence américaine et, peut-être, d’assurer à la France une intéressante zone d’influence, poussés d’ailleurs par les nombreux réfugiés mexicains qu’avait chassés Juarez, envoyèrent un corps expéditionnaire de 20 000 hommes, tandis que l’Espagne et l’Angleterre se retiraient. Les Français prirent Mexico, en accord d’ailleurs avec le président Miramon, et proclamèrent l’Empire, aux acclamations du parti conservateur et au grand soulagement
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