Tragédies Impériales
à éblouir l’aristocratie d’outre-Atlantique et que, le soir, le boulevard des Italiens connut un extraordinaire attroupement. L’archiduchesse s’était rendue chez Desideri, le photographe de la cour, pour y faire tirer son portrait. C’était elle qui causait cet attroupement.
Soucieuse, néanmoins, de voir le plus de choses possibles, elle se rendit le dimanche après-midi à la manufacture des Gobelins en compagnie de Madame de la Pœze. Enfin, arriva le moment des adieux. Ils furent, à ce que l’on assure, chaleureux et très amicaux. L’archiduc et son épouse se déclarèrent émus de la réception qui leur avait été faite et très désireux de revoir bientôt d’aussi bons amis. Les deux femmes s’embrassèrent avec effusion et l’on se quitta. L’escorte attendait pour conduire les hôtes illustres au train de Calais. Il était sept heures du soir.
L’amiral de la Gravière et Monsieur de Grammont devaient accompagner le couple princier jusqu’à Calais d’où ils embarquaient pour l’Angleterre. Leurs chambres étaient retenues à l’hôtel Clarendon. Le séjour anglais devait être court. Il s’agissait d’un dernier adieu au roi Léopold de Belgique, en séjour à Londres, d’un adieu à la cousine Victoria, et d’une visite à Claremont, où la reine Marie-Amélie, veuve de Louis-Philippe, attendait ses petits-enfants.
Cette dernière visite fut triste. La vieille souveraine était assaillie de terribles pressentiments qu’elle n’eut pas la force de cacher à Maximilien : « Ils vous tueront », prophétisa-t-elle, mais les futurs souverains étaient trop épris de leur rêve impérial pour s’arrêter à ce qu’ils prirent sans doute pour un radotage de vieille femme. Et ils ne s’attardèrent pas dans un pays où leur étaient réservées de telles prédictions.
Deux jours à Bruxelles, cinq ou six à Vienne, que Charlotte n’aimait pas car elle n’y avait jamais occupé que le second rang et l’on regagna bien vite Miramar. Le 10 avril, dans la grande salle de bal qui n’avait jamais servi et où un trône avait été installé, Charlotte et Maximilien reçurent la couronne du Mexique. Désormais, ils étaient Leurs Majestés l’empereur Maximilien I er et l’impératrice Charlotte. Désormais, le destin était en marche et plus rien ne pourrait l’arrêter.
Le 14 avril, la frégate « Novara », escortée de la frégate française « Thémis », emportait vers le Mexique ceux qui espéraient devenir les successeurs directs de Montezuma.
Le drame mexicain
Accoudée au bastingage, Charlotte regardait son palais de Miramar disparaître dans une brume dorée, avec ses fleurs, ses drapeaux, ses guirlandes accrochées un peu partout. Tout autour d’elle, sur la mer, défilaient les navires de la flotte autrichienne pavoises jusqu’aux nids-de-pie, portant leurs équipages rangés impeccablement sur la plage arrière. Un peu plus loin, c’était la « Thémis », le croiseur français, qui rendait lui aussi les honneurs. À l’arrière de la « Novara », flottait le nouveau pavillon impérial mexicain, frappé de l’aigle aztèque. Le rêve tant attendu commençait :
— Cette fois, nous sommes partis, chuchota Charlotte à Maximilien. Nous allons régner et je veux que l’Europe entière nous envie.
Maximilien sourit à sa jeune femme, heureux, grisé lui aussi par tant de soleil, tant de joie et tant de vivats.
— Comment pourrait-il en être autrement ? Nous allons vers un pays neuf, riche, que nous ferons puissant et moderne et qui nous attend déjà, des fleurs plein les bras.
Pauvre Maximilien… pauvre Charlotte… Leurs illusions n’allaient guère durer.
La traversée fut assez bonne. L’empereur l’avait employée à jeter les premières fondations d’un grand code du protocole et de l’étiquette, basé sur la terrible et quasi espagnole étiquette viennoise, qu’il voulait instaurer dans son empire. La « Novara » marchait bien et la « Thémis », qui la suivait comme un bon chien de garde, ne s’en écartait pas. Mais quand la côte basse et malsaine de Veracruz fut en vue, que la ville s’approcha peu à peu, les souverains et leur suite écarquillèrent les yeux. Non seulement la ville n’avait pas l’air pavoisée, ni même en fête, mais encore, il n’y avait pas âme qui vive sur le port, à part quelques flâneurs et quelques débardeurs qui y dormaient confortablement, sombrero sur le nez. On
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