Tragédies Impériales
dentelle espagnole et un éventail en bois de santal filigrane d’or qu’elle s’était fait envoyer tout exprès pour la circonstance par sa sœur Paca, la gracieuse duchesse d’Albe. Le temps était à l’euphorie. L’empereur et l’impératrice voyaient en ce jeune couple les sauveurs du malheureux Mexique déchiré par l’anarchie, et aussi les payeurs à venir de créances en suspens depuis longtemps.
Les organisateurs de la visite officielle des archiducs avaient eu un moment d’émotion. À Bruxelles, Maximilien s’était senti souffrant et, tout de suite, le bruit courut que, non seulement il ne viendrait pas en France, mais encore qu’il renoncerait à la couronne du Mexique. Il n’en était rien. Au jour dit, à l’heure dite, il s’était jembarqué à Calais pour l’Angleterre où il allait assister au baptême du fils du prince de Galles et séjourner pendant un mois. Le comte de Flahaut devait représenter la France au royal baptême.
On logea les chers hôtes au pavillon de Marsan et Madame de la Pœze fut détachée au service de l’archiduchesse, comme l’amiral Jurien de la Gravière et Monsieur de Grammont, écuyer de l’Empereur, étaient détachés à celui de Maximilien. En leur offrant leurs plus fidèles serviteurs, Napoléon III et Eugénie voulaient leur marquer le cas qu’ils faisaient d’eux. Le soir, un dîner intime eut lieu, après quoi on alla au théâtre en petit comité. Ce soir-là, au Gymnase, c’était la première de la nouvelle pièce de Monsieur Alexandre Dumas fils, L'ami des Femmes . Une première exceptionnellement brillante en si auguste présence.
Le lendemain, qui était dimanche, le couple impérial emmena ses invités faire une promenade au Bois de Boulogne, à quatre dans la même calèche. Le temps était beau, la foule élégante. On rentra au palais seulement à l’heure où se terminaient les courses de la Marche, pour éviter la grosse cohue. Le soir, d’ailleurs, il y avait au palais un dîner diplomatique. Mais seuls étaient conviés les membres des ambassades d’Autriche et de Belgique. Ce dîner eut un peu l’allure d’un dîner de famille : l’ambassadeur d’Autriche en France était alors le prince Richard de Metternich, frère de la comtesse Zichy qui accompagnait l’archiduchesse Charlotte. Ensuite, une troupe théâtrale vint donner la comédie aux Tuileries. Mademoiselle Plessy, Messieurs Delaunay et Bressant eurent l’honneur de jouer Le Bougeoir devant la cour.
Le lundi matin, Maximilien, en grand uniforme d’amiral, alla rituellement s’incliner sur le tombeau de Napoléon I er sous le dôme des Invalides. Cela faisait partie de toute visite officielle, l’empereur jouant alors le rôle qui lui fut ravi depuis par le Soldat inconnu de l’Arc de triomphe. La reine Victoria, toute anglaise qu’elle était, n’y avait pas manqué lorsqu’en 1851 elle s’était rendue à Paris avec le prince Albert. Pendant ce temps, Charlotte parlait chiffons avec Eugénie, qui lui avait présenté son couturier Worth, son coiffeur Leroy et les meilleurs faiseurs de Paris. L’actuelle et la future impératrice ne manquaient pas de goûts communs. Elles visitèrent aussi quelques institutions charitables et un nombre impressionnant d’églises.
Le soir, dîner avec tous les ministres puis grand concert dans la salle des Maréchaux. L’admirable Adelina Patti, la grande cantatrice du Théâtre italien, s’y fit entendre dans divers airs d’opéra avant d’être présentée à Leurs Majestés par la princesse d’Essling, grande maîtresse de la maison de l’impératrice. Mais d’autres artistes de valeur participèrent à ce concert : Madame Meric-Lablache, Messieurs Mario, délie Sedie et Scalese du Théâtre italien (Mario se fit particulièrement applaudir dans un air de Martha ). Il y eut aussi Monsieur de la Roncherie, violoniste et le célèbre pianiste Joseph Wienawski dans deux de ses œuvres, La Romance variée et La Walse … Une soirée fort bien réussie dont chacun exprima sa satisfaction. On vit l’empereur et l’impératrice s’entretenir longuement avec MM. Mario et Wienawski.
Lorsqu’un souverain étranger rend visite à Paris, il est d’usage, de nos jours, qu’il reçoive, à son ambassade, le président de la République. Cet usage existait déjà sous le Second Empire, et le mardi, ce fut l’ambassade d’Autriche qui reçut à un grand dîner les souverains français et leurs
Weitere Kostenlose Bücher