Tragédies Impériales
était le 28 mai et il faisait une lourde chaleur-Charlotte tourna vers ses deux dames d’honneur, Paula von Kollonitz et la comtesse hongroise Mélanie Zichy, son regard étincelant :
— Descendons à terre, nous verrons bien.
On descendit. Mais sur le quai de Veracruz, le groupe élégant et chamarré, les hommes en uniforme et les femmes en crinoline, ne souleva chez les indigènes qu’une vague curiosité qui mit Charlotte hors d’elle.
— Ces gens, fit-elle, n’ont pas l’air de se douter que nous sommes leurs souverains…
Le contre-amiral français Bosse, qui était descendu lui aussi de sa « Thémis », hocha la tête.
— Veracruz n’est pas sympathisante au nouveau régime, Madame. Jusqu’à ce qu’il soit refoulé vers le nord, elle était la ville de Juarez. Mais cela n’excuse nullement le général Almonte, le président de la régence, qui devrait être là…
Il fallait se rendre à l’évidence, le général n’était pas là. Rageuse, Charlotte décida de retourner à bord, pour y dîner, et de n’en plus bouger avant que l’on vienne l’y chercher. Tout le monde réembarqua.
Tard dans la soirée, le général Almonte fit son apparition. Il n’avait pas pris la peine de se renseigner exactement sur le jour d’arrivée des souverains et, craignant le pernicieux climat de Veracruz, avait préféré attendre un peu plus haut, dans la montagne, à Orizaba. Il eut tout juste le temps de saluer leurs Majestés avant d’échanger avec l’amiral Bosse, indigné d’un tel accueil, des propos aigres-doux. Ce fut l’empereur qui s’interposa.
— Allons, messieurs, ceci n’est qu’un malentendu. Dînons d’abord, et demain tout s’arrangera…
Comme pour lui donner raison, le fort de San Juan de Ulloa se décida enfin à tirer une double salve d’honneur. Mais l’humeur de Charlotte demeura sombre toute la soirée. Très impressionnable, la nouvelle impératrice avait vu dans cet accueil réfrigérant un très mauvais présage.
À vrai dire, le lendemain ne fut guère plus encourageant. Quand les souverains débarquèrent pour la seconde fois, il n’y avait que peu de monde dans les rues, si tout de même quelques drapeaux avaient été sortis et si un discours leur fut adressé. Par contre, une troupe de Zopilotes, ces hideux vautours des tropiques, semblait avoir pris possession de la ville quasi déserte. Ils perchaient un peu partout, tendant leurs cous pelés et croassant désagréablement. Les nerfs à fleur de peau, Charlotte se tourna vers l’amiral Bosse :
— Ne pourrait-on détruire ces répugnants oiseaux, Monsieur l’Amiral ? Quel affreux spectacle ils nous offrent là.
L’amiral leva les yeux au ciel puis se pencha vers la jeune femme frissonnante :
— Hélas, Madame, répondit-il, la loi les protège parce que l’incurie et l’indifférence des habitants en matière sanitaire les rendent indispensables.
Incapable d’en entendre davantage, l’impératrice alla s’engouffrer dans le petit train, construit depuis peu par les Français et qui devait les monter vers le haut plateau.
Le voyage jusqu’à Mexico fut harassant, par des routes à peine tracées où la berline impériale peinait et secouait impitoyablement ses occupants. Mais à partir de Puebla où le gouverneur et le général Brin-court attendaient leurs Majestés, l’accueil fut beaucoup plus chaleureux. Maximilien et Charlotte entendirent enfin ces vivats qu’ils avaient espérés depuis leur départ de Miramar. Aux portes de la capitale, une véritable délégation diplomatique les attendait. Ils trouvèrent là le général Bazaine, chef des troupes françaises, et le comte de Montholon, chargé d’affaires, ainsi que le ministre d’Autriche et tous les notables de la ville. Cette fois, ce fut sous les fleurs, au milieu d’un tonnerre d’acclamations et s0us les joyeuses volées des carillons que les souverains radieux gagnèrent l’ancien palais.
Mais la fête qui dansait dans toutes les rues de la ville pavoisée ne leur assura pas pour autant une nuit confortable : le vieux palais était vraiment très vieux, et la vermine y pullulait au point que, las de lutter contre elle, Maximilien s’en alla finalement coucher gur le billard.
Une autre chose avait rendu inconfortable le sommeil de l’empereur. Dans le palais, sur le lit même qui l’attendait, il avait trouvé, apporté là par une juain mystérieuse, le texte de la proclamation que Juarez le
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