Tragédies Impériales
sympathique. Mais les ordres étaient les ordres et il ne faisait pas bon désobéir au roi de Prusse.
— Pardonnez-moi de vous avoir fait venir jusqu’ici, commença le prince, mais vous savez, mon cher comte, à quel point je déteste les salons. Je ne suis jamais si heureux qu’en pleine nature. Voulez-vous que nous fassions quelques pas le long de la Spree ?
— Aux ordres de Votre Altesse royale ! Je la remercie vivement, au contraire, du caractère intime qu’elle veut bien donner à notre entretien… caractère qui, d’ailleurs, me semble convenir en tout point au genre de mission dont je suis chargé par Sa Majesté le roi.
Si ce préambule inquiéta Guillaume, il n’en montra rien :
— Par le roi ? Diable ! Eh bien, Monsieur, parlez ! Me voilà tout prêt à vous écouter.
Malgré la beauté du décor, von Schilden aurait bien voulu être ailleurs mais il fallait se jeter à l’eau. Avec beaucoup de détours et de circonlocutions, il réussit enfin à mettre Guillaume au courant de son entrevue avec son royal père.
— Voilà ! soupira-t-il en conclusion et avec un soulagement tout intime. En résumé, je suis chargé d’apprendre de Votre Altesse royale si elle aime ou n’aime pas.
Guillaume n’eut pas l’ombre d’une hésitation.
— J’aime, comte von Schilden, j’aime de toute mon âme ! Malheureusement, j’ignore à cette heure si je suis aimé…
Le soulagement de l’ambassadeur augmenta. Dieu soit loué, il n’avait pas encore été question de mariage ! C’était tout ce qui comptait car, pour le reste, à bien considérer l’élégante silhouette du prince, son beau visage et son charme, l’hypothèse que son amour ne fût pas payé de retour relevait de la plus folle illusion. Si la belle Élisa n’aimait pas ce garçon-là, elle n’aimerait jamais personne ! Ou alors, elle était folle !… Mais Guillaume n’avait pas fini de parler :
— Certes, soupira-t-il, la princesse Élisa semble me voir avec faveur, et même avec plaisir. Mais je ne me suis pas cru encore autorisé à lui parler d’amour. D’autre part…
Von Schilden retint son souffle.
— D’autre part ?
— Je n’ignore pas, poursuivit Guillaume avec un sourire plein de mélancolie, je n’ignore pas qu’un mariage avec elle pourrait rencontrer quelque résistance de la part de mon père, qui a parfois des idées imprévisibles. Ce pourrait être le seul obstacle car, en dehors de cela, je n’en vois aucun autre possible. Les Radziwill sont d’aussi vieille noblesse que les Hohenzollern et la mère d’Élisa, elle-même, nous est cousine puisqu’elle est la nièce du Grand Frédéric.
— Votre Altesse sait la prédilection de Sa Majesté pour les princesses étrangères.
— Est-ce qu’Élisa ne serait pas polonaise ? fit Guillaume avec un sourire quelque peu ironique.
— Votre Altesse sait ce que je veux dire. La Prusse a tant souffert du fait de ce damné Napoléon (Sainte-Hélène veuille le garder !) que le roi cherche à se procurer le plus d’appuis possibles hors des frontières du royaume.
— Je sais tout ce que je dois à la mémoire de ma mère bien-aimée {4} , soupira le prince, et c’est la raison pour laquelle, jusqu’à présent, je n’ai pas laissé parler mon cœur. Voilà, comte von Schilden, ce que vous pouvez rapporter au roi. Ajoutez que, si c’est là sa volonté, je ferai tout pour oublier un amour qui n’aurait pas son approbation, mais que je le supplie de considérer qu’il ne s’agit pas là d’une amourette… mais bien d’un grand, d’un profond amour.
Et, tournant le dos au messager, le prince s’éloigna les mains nouées derrière le dos, pour continuer seul sa promenade au bord de l’eau lente où se reflétaient les buissons de roses et les derniers rayons du soleil.
Frédéric-Guillaume III se montra assez satisfait des résultats obtenus par von Schilden. L’obéissance dont faisait preuve son fils était encourageante, mais sachant que les forces humaines ont des limites quand il s’agit d’amour, il pensa qu’il pouvait être bon de prendre quelques précautions.
— Dans ces conditions, confia-t-il à son émissaire, je ne veux ni ne peux interdire au prince Guillaume de rencontrer la princesse Elisa. Mais vous veillerez personnellement, von Schilden, à ce que l’un de mes aides de camp accompagne toujours mon fils lorsqu’il se rendra au palais Radziwill. Encore que nous ignorions les
Weitere Kostenlose Bücher