Tragédies Impériales
impossible avec une Hongroise sur le trône à tes côtés.
Obéissant aveuglément, alors, à sa mère, François-Joseph fit taire ses sentiments au nom de la raison d’État et ne reparla plus du projet. D’ailleurs, il n’ignorait pas les vues de Sophie sur sa cousine Hélène et la réputation de la jeune fille étant des meilleures, il ne voyait pas d’inconvénient majeur à en faire sa femme si elle était aussi belle et charmante qu’on le disait… que le disait Sophie tout au moins !
— Elle est parfaite en tout point ! affirmait, péremptoire, l’archiduchesse.
Parfaite, elle l’était sans doute. Ludovica s’était donné assez de mal pour cela. On lui avait appris tout ce que devait savoir une impératrice d’Autriche : à parler plusieurs langues, à danser, à monter à cheval, à recevoir, à paraître avec aisance au milieu d’une nombreuse assistance, et même à s’ennuyer avec grâce, immobile des heures durant sur un fauteuil figurant un trône.
Aussi fut-ce le grand branle-bas de combat quand, un beau jour du mois de juin, la duchesse, qui venait de lire, durant le petit déjeuner familial, une lettre de sa sœur, s’écria, rayonnante de joie :
— Réjouissez-vous, mes enfants ! Votre tante Sophie nous invite à Ischl, au mois d’août, Néné, Sissi et moi, afin de l’y rencontrer. L’empereur viendra, lui aussi…
À cette nouvelle, Hélène devint rose de plaisir car l’idée d’épouser François-Joseph lui souriait depuis longtemps, mais Élisabeth ne montra qu’un enthousiasme méfiant.
— Est-ce que Charles-Louis sera là aussi ?
L’archiduc Charles-Louis, frère cadet de François-Joseph, était son chevalier servant attitré depuis que les deux adolescents s’étaient rencontrés trois ans plus tôt dans ce même Ischl. On avait échangé des lettres, et même, le jeune prince avait fait parvenir à la dame de ses pensées de jolis présents, une bague, un bracelet, encouragé en cela par sa mère, qui voyait d’un assez bon œil, pour plus tard, une seconde union avec les filles de sa sœur.
— Bien sûr, il sera là ! s’écria Ludovica en embrassant son bébé de quinze ans. Tu seras heureuse de le revoir ?
— Je crois, oui… Il est très gentil et je l’aime bien. Sur ces fortes paroles, on procéda aux préparatifs du départ, chacun selon ses aptitudes : la duchesse et Hélène en se jetant sur les armoires à robes avec l’aide de la baronne Wulffen, gouvernante des princesses, et Sissi en se précipitant dans le jardin pour donner à manger à ses animaux favoris et leur raconter les derniers événements de la maison.
Le 15 août, les trois princesses arrivaient à l’hôtel d’Ischl {3} avec une heure et demie de retard, pour y apprendre que l’archiduchesse les attendait à la villa impériale pour le thé. C’était la catastrophe, car elles n’avaient qu’un peu plus d’une demi-heure devant elles… et les malles n’étaient pas encore arrivées. En revanche, l’empereur, lui, était déjà là.
— Tant pis ! dit la duchesse au bord des larmes. L’heure c’est l’heure et nous n’aurions même pas le temps de nous changer si les malles étaient là ! Il faut y aller comme nous sommes.
— Altesse ! s’écria la baronne Wulffen ! C’est impossible ! Toute cette poussière !…
— La poussière est une chose, le protocole en est une autre. Nous devons y aller !
À la villa, l’archiduchesse Sophie les attendait dans son appartement. Elle rassura sa sœur : telles qu’elles étaient, les petites étaient charmantes. Simplement, on allait faire venir sa femme de chambre pour recoiffer Hélène. Sissi s’arrangerait d’une simple brosse. On donna donc tous les soins possibles à l’opulente chevelure noire de Néné, mais la camériste chargée de cet ouvrage ne put s’empêcher de marquer son admiration pour celle de la jeune Sissi, brillante cascade de cheveux châtain clair traversée île reflets d’or et de touches fauves.
Au bout de quelques minutes, les dames de Bavière étaient assez présentables pour affronter le thé et le regard de l’empereur, et l’on se dirigea vers le salon où allait avoir lieu la rencontre.
Le premier abord fut quelque peu solennel. Hélène, rougissante, osait à peine lever les yeux sur l’empereur de vingt-trois ans qu’on lui destinait pour époux, et celui-ci se montrait certes aimable mais plutôt guindé, car il en était déjà aux
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