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Traité du Gouvernement civil

Traité du Gouvernement civil

Titel: Traité du Gouvernement civil Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: John LOCKE
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    93. A la vérité, dans les monarchies absolues, aussi bien que dans les autres formes de gouvernement, les sujets ont des lois pour y appeler, et des juges pour faire terminer leurs différends et leurs procès, et réprimer la violence que les uns peuvent faire aux autres. Certainement, il n'y a personne qui ne pense que cela est nécessaire, et qui ne croit que celui qui voudrait entreprendre de l'abolir, mériterait d'être regardé comme un ennemi déclaré de la société et du genre humain. On peut raisonnablement douter que cet usage établi ne vienne d'une véritable affection pour le genre humain et pour la société, et soit un effet de cette charité que nous sommes tous obligés d'avoir les uns pour les autres; cependant, il ne se pratique rien en cela, que ce que ceux qui aiment leur pouvoir, leur profit et leur agrandissement, peuvent et doivent naturelle­ment laisser pratiquer, qui est d'empêcher que ces animaux, dont le travail et le service sont destinés aux plaisirs de leurs maîtres et à leur avantage, ne se fassent du mal les uns aux autres, et ne se détruisent. Si leurs maîtres en usent de la sorte, s'ils prennent soin d'eux, ce n'est par aucune amitié, c'est seulement à cause du profit qu'ils en retirent. Que si l'on se hasardait à demander, ce qui n'a garde d'arriver souvent, quelle sûreté et quelle sauvegarde se trouve dans un tel état et dans un tel gouverne­ment, contre la violence et l'oppression du gouverneur absolu ? On recevrait bientôt cette réponse, qu'une seule demande de cette nature mérite la mort. Les Monarques absolus, et les défenseurs du pouvoir arbitraire, avouent bien qu'entre sujets et sujets, il faut qu'il y ait de certaines règles, des lois et des juges pour leur paix et leur sûreté mutuelle; mais ils soutiennent qu'un homme qui a le gouvernement entre ses mains, doit être absolu et au-dessus de toutes les circonstances et des raisonnements d'autrui; qu'il a le pouvoir de faire le tort et les injustices qu'il lui plaît, et que ce qu'on appelle communé­ment tort et injustice, devient juste, lorsqu'il le pratique. Demander alors comment on peut être à l'abri du dommage, des injures, des injustices qui peuvent être faites à quelqu'un par celui qui est le plus fort; ah! ce n'est pas moins d'abord, que la voix de la faction et de la rébellion. Comme si lorsque les hommes quittant l'état de nature, pour entrer en société, convenaient que tous, hors un seul, seraient soumis exactement et rigoureusement aux lois; et que ce seul privilégié retiendrait toujours toute la liberté de l'état de nature, augmentée et accrue par le pouvoir, et devenue licencieuse par l'impunité. Ce serait assurément s'imaginer que les hommes sont assez fous pour prendre grand soin de remédier aux maux que pourraient leur faire des fouines et des renards, et pour être bien aises, et croire même qu'il serait fort doux pour eux d'être décorés par des lions.
     
    94. Quoique les flatteurs puissent dire, pour amuser les esprits du peuple, les hommes ne laisseront pas de, sentir toujours les inconvénients qui naissent du pouvoir absolu. Lorsqu'ils viendront à apercevoir qu'un homme, quel que soit son rang, est hors des engagements de la société civile, dans lesquels ils sont, et qu'il n'y a point d'appel pour eux sur la terre, contre les dommages et les maux qu'ils peuvent recevoir de lui, ils seront fort disposés à se croire dans l'état de nature, à l'égard de celui qu'ils verront y être, et à tâcher, dès qu'il leur sera possible, de se procurer quelque sûreté et quelque protection efficace dans la société civile, qui n'a été formée, du commence­ment, que pour cette protection et cette sûreté; et ceux qui en sont membres, n'ayant consenti d'y entrer que dans la vue d'être à couvert de toute injustice, et de vivre heureusement. Et quoique au commencement (ainsi que je le montrerai plus au long dans la suite de ce Traité), quelque vertueux et excellent personnage ayant acquis, par son mérite, une certaine prééminence sur le reste des gens qui étaient dans le même lieu que lui, ceux-ci aient bien voulu récompenser, d'une grande déférence, ses vertus et ses talents extraordi­naires, comme étant une espèce d'autorité naturelle, et aient remis entre ses mains, d'un commun accord, le gouvernement et l'arbitrage de leurs différends, sans prendre d'autre précaution, que celle de se confier entièrement en sa droiture et en sa

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