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Troisième chronique du règne de Nicolas Ier

Troisième chronique du règne de Nicolas Ier

Titel: Troisième chronique du règne de Nicolas Ier Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
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photos de
la baronne d’Ati, qui gardait les Sceaux, afin d’effacer les bijoux hors de
prix qu’elle portait aux doigts, puisque l’étalage du luxe n’était plus à l’ordre
du jour. Des oukases non formulés pleuvaient ainsi d’en haut, et les échines de
nombreux gazetiers s’assouplissaient. Il y avait tout de même quelques
perquisitions de locaux et des gardes à vue, si un gazetier malséant refusait
de dénoncer la source d’un article blessant, lequel risquait d’entamer le
prestige de Notre Fine Altesse.
    Le Parlement enregistra alors sans broncher quelques lois
menées au pas de charge. Reprenant pour lui un projet de la Gauche qui était
resté dans son carton, le Prince Véloce avait émis le désir de supprimer la
réclame sur les lucarnes du Service public ; au départ, l’idée était de
libérer ledit service des pressions commerciales, mais on y devina aussitôt l’intention
du Monarque d’offrir toute cette réclame à ses amis du privé qu’il choyait et
qui le choyaient en retour. Quoi qu’il en fût, personne n’expliqua aux lucarnes
publiques comment elles compenseraient cette perte de finances. Quel
intérêt ? Le Prince s’accorda dans la foulée le droit de nommer et de
révoquer les présidents des fenestrons et des ondes publiques, puisque ces
entreprises appartenaient à l’État et que l’État n’était que Lui. Il y eut des
frémissements, des râles, deux ou trois colères avant le silence. Pour achever
la mise en scène de ce coup de force, Notre Magnanime Souverain décida de très
étranges états généraux des gazettes. N’y participaient aucun gazetier de base
ni aucun usager, mais une demi-douzaine de patrons divers qui se mirent à
papoter autour d’une table du Château ; il en fut comme des autres
commissions ordonnées par Sa Majesté, et d’où jamais rien ne sortait ; ces
états généraux n’étaient que les états de quelques généraux.
    Il arriva cependant une aventure symptomatique qui montra,
dans ce dispositif de muselières, le hors-la-loi de la justice et de la police
impériales ; ce fut l’arrestation déraisonnable et brutale du comte
Filippis, lequel avait récemment dirigé la rédaction d’une feuille penchée vers
la Gauche. Un vendredi, à l’aube, le comte entendit frapper des coups sur la
porte de son pavillon. Mal réveillé, non décoiffé par l’oreiller parce qu’il
avait le crâne ras, le comte alla ouvrir et ne trouva point, comme dans d’autres
pays plus démocratiques, le laitier et ses bouteilles, mais trois colosses de
la police qui prenaient une pose comme M. John Wayne. Sans se présenter,
le plus galonné commanda au comte de les suivre.
    — Qu’y a-t-il ? Un accident ?
    — On vous emmène au commissariat, c’est tout.
    — Habille-toi, dit le deuxième.
    — De quel droit ? demanda le comte estomaqué.
    — On exécute la procédure.
    — Ne rentrez pas chez moi avec vos bottes ! vous
allez salir mes tapis !
    Le plus grand des enfants du comte regardait la scène avec
les yeux ronds comme des soucoupes. M. de Filippis le désigna aux
agents :
    — Et mes enfants ?
    — Il a l’air déjà grand, vot’loupiot.
    — L’autre a dix ans, qui va le conduire à l’école ?
    — Son grand frère, tiens ! Allez !
    — Oh, ça va, les cow-boys !
    — Vous êtes pire que la racaille ! lui cracha au
visage le galonné.
    Et les trois embarquèrent le comte en le tenant comme un
dangereux rebelle. Ils le transportèrent au commissariat, puis, menotté dans le
dos, au Palais de Justice. Au dépôt, on le déshabilla complètement pour le
fouiller avant de le pousser dans une cage ; il ne put s’asseoir sur le
banc de béton qu’occupait déjà une famille nombreuse de cafards et resta deux
heures debout. Quand il sortit, on le redéshabilla pour le refouiller, comme s’il
avait caché dans ses poches une dizaine de cafards qu’il espérait aider à s’évader.
Il se retrouva devant une juge ; elle lui refusa un avocat, il refusa de
répondre. De quel crime était-il accusé ? On lui signifia avec sécheresse
et froncements de sourcils qu’il avait hébergé les propos d’un lecteur qui
insultait un péquin, or celui-ci avait porté plainte pour diffamation, un délit
passible d’amende mais non point de prison. Sitôt qu’il fut relâché, le comte
Filippis glapit contre les manières judiciaires et la brusquerie des argousins
de Sa Majesté ; cela provoqua aussitôt un

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