Troisième chronique du règne de Nicolas Ier
service du Monarque Choyé, malgré la réticence de l’équipage.
C’était M. Val. Cet ancien chansonnier cultivait la révérence après l’irrévérence
de ses débuts. En meilleur ami de son compagnon précédent, M. Val
conservait de l’affection pour Madame, il chantonnait avec elle, lui faisait
découvrir les vers de M. Borges et causait du docteur Freud. La légende
veut qu’un jour ils conversaient dans un salon du Château, où M. Val avait
désormais ses entrées ; Chouchou arriva. Notre Ultrasympathique Souverain
cherchait qui nommer à la tête des ondes impériales, puisque désormais il avait
ce pouvoir. M. Val n’hésita point à suggérer le nom de M. Hees,
auquel il était fort lié et qui avait déjà une longue carrière sur les ondes.
« Très bonne idée », dit Madame. « Très bonne idée »,
répéta Chouchou. M. Hees avait une réputation de professionnel mais, en
privé, affirmait qu’il avait chaque nuit des cauchemars en rêvant de Sa
Majesté, parce qu’il ne souffrait point cet Attristant Monarque auquel il était
allergique. Il se serait quand même ouvert à M. Val dans un restaurant
proche de la rue des Saints-Pères ; en mangeant des spaghettis, il déclara
son envie de remplacer à la tête des ondes le baron de Cluzel qui jadis l’avait
jeté dehors. « C’est archi-faux ! » dit M. Hees de sa voix
chaude. « Sans fondement ! dégueulasse ! On se croirait en
Allemagne de l’Est ! » glapit M. Val avec son vocabulaire
sanguin et suranné. Notons que la réalité, qu’on ne saurait accuser de fausseté
puisqu’il suffisait de la regarder, fit que M. Hees dirigea les ondes
impériales sur ordre de Sa Majesté, et qu’il nomma son compère M. Val à la
direction d’une station dont il n’était alors que chroniqueur. Estampillé par
le Château, même s’il s’en défendait, cet ami de Madame quitta la gazette
satirique où il avait officié dix-sept ans, et où il voulut imposer ses
obsessions. Ainsi M. Val voyait-il partout des Munichois, des nazis et des
antisémites comme M. Sartre s’imaginait entouré de langoustes. Lorsque le
tonitruant M. Siné, qu’on appelait entre soi Monsieur Bob, s’en prit avec
une cruauté blasphématoire au mariage du Prince Jean avec une riche héritière,
c’en fut trop pour M. Val qui joua la peur : « Le Château va
porter plainte ! On est foutus ! Je dois virer Siné ! » Et
Monsieur Bob refusant de s’excuser à plat ventre devant Notre Outragé Suzerain,
il fut congédié, mais, comme il était à lui seul une institution, il emporta
dans son exil la moitié des lecteurs et fonda une nouvelle gazette plus
mordante. M. Val eût-il été aussi empressé s’il n’avait pas voulu se
rapprocher de la Cour ? Certains prirent sa défense, ils dirent qu’un
homme sensible aux chats ne pouvait être mauvais, mais alors ? Monsieur
Bob, lui aussi, était sensible aux chats, et il avait croqué ces animaux sous
toutes leurs coutures ; soit, sa raison était particulière, et ce
pourfendeur des prêtres, des soldats et des pandores l’avait expliqué :
« Il n’y a pas de chats policiers. »
Sa Majesté continua à pêcher dans le vivier des artistes et
des chanteurs à texte afin de plaire à Madame et de gonfler le nombre de ceux
qui lui seraient reconnaissants. Il voulut passer pour le défenseur de leurs droits,
que les machines électroniques bafouaient sans honte. Les chanteurs et les
metteurs en scène étaient les premiers volés ; on avait calculé l’énormité
du larcin : environ quatre cent cinquante mille de leurs œuvres se
trouvaient chaque jour dérobées, sur lesquelles ils ne percevaient aucun
centime. Le piratage causait des dégâts. Dans un petit bureau du Château, des
conseillers élaborèrent une loi qui devait se montrer aussi inefficace que
brutale, nommée Hadopi ; sous cette consonance de divinité égyptienne du
Bas-Empire, affleurait le goût inné de Notre Fougueux Monarque pour la
répression. Les pirates seraient pendus au grand mât ! Enfin, ils
devraient payer ou moisir au cachot. La dernière mouture de cette loi bâclée
supposait qu’on repérât le voleur, qu’on lui expédiât un message pour l’avertir,
puis, s’il récidivait, une lettre recommandée avant que son dossier fût envoyé
à la Justice impériale ; là, un magistrat spécial aurait à juger au moins
cinquante mille cas par an, si cela ne le rendait pas fou. Les amendes
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