Troisième chronique du règne de Nicolas Ier
entraînez la
jeunesse vers le sport pour la détourner de la réalité, parce qu’il faut avant
tout assurer l’équilibre sexuel des étudiants ! » Le ministre moucha
l’agitateur : « Si vous avez des problèmes sexuels, plongez dans la
piscine ! »
Il n’empêche que le duc de Francfort devint fort célèbre dès
ce jour. Mieux : ce fut là qu’il inventa la méthode qui lui profita au
long de sa vie et de ses rôles : d’abord une provocation langagière ferme
ou moqueuse, parfois jusqu’à l’outrage, puis un ample retournement sur le ton
de la complicité ou de la franche compréhension. Ainsi au lendemain de son
altercation dite « de la piscine », le duc envoya-t-il une missive
discrète à M. de Missoffe pour y reconnaître ses torts. Le duc fréquentait
la fille du ministre, une étudiante qui deviendra comtesse de Panafieu puis
duchesse des Batignolles ; le ministre savait par elle les talents et les
exploits du trublion, qu’il convia en son Palais pour discuter de façon posée ;
cela fit enrager le maître des polices, ce marquis de Peyrefitte qui cherchait
à expulser le duc de Francfort à Francfort, puisqu’il avait un passeport de
Germain.
La méthode du duc ne varia guère au fil du temps, qu’on
pouvait qualifier d’ injure et chatouillis . On la vit à l’œuvre sous le
règne de Nicolas I er , quand le souverain se rendit au Parlement
de l’Europe. Le duc s’était glissé au premier rang des gradins, pour s’y
vautrer au plus près des caméras, puis il lança une amère diatribe contre Notre
Légendaire Monarque qui pactisait à ce moment avec l’empereur de Chine tandis
que celui-ci massacrait au Tibet. Notre Prince en fut surpris, d’autant qu’ils
s’étaient vus la veille en parfaite amitié, et la séance à peine achevée, des
images montrèrent les deux hommes converser d’un air jovial qui contredisait l’échange.
Le duc de Francfort était grandiloquent, drôle, narquois, mais on ne savait où
il voulait aller, sinon qu’il voulait aller pour aller, et par ce travers
réalisait la devise que Notre Fier Souverain partageait avec les studios Walt
Disney : tout pour le spectacle.
Considérant au plus près les résultats de son armée dans le
combat électoral, Notre Soufflant Monarque glorifiait sa victoire, mais, il le
savait, la masse de ses partisans d’hier s’effilochait gravement, il devait y
adjoindre de vifs bataillons mieux convaincus. Où les dénicher ? Dans les
chiffres. Le nombre des Verts croissait, leurs soucis recoupaient les soucis du
peuple, eh bien ils seraient les prochaines proies de Notre Impayable Leader,
il les vampiriserait comme il avait vampirisé la Gauche, en dérobant des
thèmes, des idées, des inquiétudes qu’il ferait siens, il s’emporterait dans
ses discours sur les dangers du réchauffement, il parlerait de ces ours blancs
qui pataugeaient déjà sur une banquise fondue, il ferait peur, il apporterait
ses mots comme des remèdes, il dirait une fois encore : « Je ne vous
mentirai pas », parce que son vocabulaire se raréfiait et qu’il tournait
en rond, répétait d’anciens discours. Son socle de fidèles ne lui suffirait
bientôt plus ; pour durer il fallait partir à la recherche d’autres
alliés, s’ouvrir à tous vents.
Afin de se consoler, le Prince regardait avec délice les
malheurs des autres chefs de l’Europe, aux peuples mêmement désenchantés par
des partis en déclin. Même les Grands-Bretons supportaient des scandales. On
apprit les extravagantes notes de frais de leurs élus, qui se faisaient
rembourser le coiffeur, une couette pour chien, du champagne, une maison pour
des canards domestiques, une perruque ou la location de films pornographiques.
Un bon ami de Notre Angélique Leader, Lord Blair, avant sa démission avait
réclamé plus de huit mille euros pour réparer le toit d’un de ses manoirs, et
un autre ami excellent, le modèle de Notre Majesté, don Silvio Berlusconi, se
faisait huer en Europe parce qu’il avait essayé de présenter au Parlement une
liste de starlettes rebondies. Ah ! ce don Silvio que Notre Prince
enviait ! Il avait acheté l’Italie et l’Italie le plébiscitait. Don Silvio
se taillait des lois sur mesure afin que ses méfaits restassent impunis, il
avait gagné vingt-deux procès, savait que la politique n’était que le
prolongement des affaires et le moyen d’arrondir sa fortune ; il l’avouait
en riant : « Je suis entré en
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