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Troisième chronique du règne de Nicolas Ier

Troisième chronique du règne de Nicolas Ier

Titel: Troisième chronique du règne de Nicolas Ier Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
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dossier sous le bras, embrassa Madame sur les lèvres façon Clark Gable
avant de confier aux lectrices : « Elle est en forme, hein ? »
Il ajouta sans qu’on lui demandât rien qu’il sortait de sa douche parce qu’il
avait été faire du sport, c’est-à-dire le tour du parc en short.
    — On t’a pas vu, dit Madame. Moi je t’ai cherché.
    — On m’a pas vu ? J’ai fait exprès.
    — T’as fait exprès ?
    — Ouais, pour vous laisser tranquilles.
    On s’attendrit de longues minutes sur la ménagerie du couple
modèle. Notre Tendre Autocrate s’attarda sur la chienne Clara qu’on lui avait
offerte au Québec : « Elle avait un mois et j’ai fait une bêtise, je
l’ai ramenée » ( rires émus ). Laissant ces dames à leur ravissement,
le Prince prit soudain congé avec les termes d’un représentant de commerce
attendu par un client :
    — Continuez à bavarder. Moi j’serais bien resté avec
vous mais j’dois recevoir le Premier ministre de l’Irak.
    — Bon courage, Chouchou, susurra Madame en lui mettant
la main aux fesses.
    Dans l’encadrement de la porte du fond, on voyait passer et
repasser l’impatient Premier valet de chambre, M. de Louvrier, lequel
chronométrait cet entretien spontané et enregistré pour les archives
publicitaires impériales. En effet, Notre Mirifique Monarque était maintenant
encadré par une équipe où Madame avait sa large part, car elle devait modifier
l’image du Prince afin qu’il devînt plus humain aux yeux du peuple, pour que ce
peuple, malgré bien des bévues, continuât à le consolider sur le trône. L’opération
de la visite aux dames faisait partie d’un plan conçu. En outre, depuis
quelques mois, Madame faisait profiter Chouchou de son entraîneuse sportive, qu’elle
avait rencontrée au Ritz Health Club, la salle de mise en forme du palace de la
place Vendôme où le bar, quoique non fumeur, osait porter encore le nom de
M. Hemingway. Entraîné par la sportive de Madame, le remaniement physique
de Notre Grand Sublime était miraculeux ; il avait perdu quatre kilos de
bourrelets et deux tailles de pantalon ; il avait appris à ne plus
succomber aux chocolats et à solidifier ses muscles de l’entrejambe car il
pratiquait ce que les médecins spécialisés appelaient le stop-pipi , un
exercice pour interrompre une fois par jour son jet d’urine et se renforcer de
ce côté. La sportive de Madame travaillait avec des gros ballons roses et mous
sur lesquels le patient se contorsionnait comme un phoque ; elle
préconisait une espèce de yoga, censé agir sur le mental autant que sur le
corps, afin d’empêcher le Prince de ruminer et adoucir ses humeurs mauvaises
avant l’ulcère.
    Madame eut ensuite l’effroyable tâche de lester la cervelle
de Chouchou ; elle devait justifier sa fondation contre l’illettrisme et
ne point se contenter de féliciter des lycéens dans la salle des fêtes du
Château. Figurez-vous que Sa Majesté obéit à Madame et ne parla plus en public
des Bronzés ou de M. Marc Levy dont les ventes l’impressionnaient.
Bien sûr, derrière les volets clos, le Prince se laissait aller à un bras d’honneur
qui envoyait paître la Commission européenne ou lâchait une bordée de jurons à
l’intention des députés impériaux, ils ne se courbaient pas assez, mais il se
surveilla, il se confia moins car il voulait éviter la fuite de ses vulgarités
dans les gazettes. Avec Madame, que secondait M. de Charon, Notre
Surprenant Béotien prit des cours accélérés de culture générale, comme s’il
préparait un examen de rattrapage en révisant à outrance des matières négligées.
    Dans La Métamorphose de M. Kafka, un pitoyable
employé se réveillait transformé en punaise géante ; il s’agissait d’opérer
à l’inverse et de changer un cancrelat en papillon multicolore, soit Notre
Irascible Monarque en un Gracieux Chouchou fourré de littérature, de
cinématographe, de musées et de concerts. Un ministre en témoigna :
« Avant, dans l’aéronef impérial, Sa Majesté laissait quelquefois traîner
un livre, maintenant elle l’ouvrait. » Le Prince lisait pour citer des
passages ou estomaquer son entourage en racontant par le menu La Petite
Roque de ce M. de Maupassant dont s’était entiché le vieux roi
Giscard. Ces lectures relevaient plus du bachotage que d’une envie authentique
et moins encore d’un plaisir ; lorsque Notre Attentif Souverain soulignait
en jaune

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