Troisième chronique du règne de Nicolas Ier
allaient
donc pleuvoir, au petit bonheur car les pirates professionnels avaient bien des
ruses, et pleuvoir dans quelles poches ? Ces fameux droits d’auteur,
comment allaient-ils être répartis et entre qui ? On ne savait rien, sinon
que les délinquants endurcis seraient privés de leur écran. Le Parti social
protesta au nom de cette jeunesse étourdie qui imaginait les saltimbanques
vivre de très peu, mais qu’il convenait d’éduquer plutôt que de bastonner. Et
puis l’accès aux écrans était devenu un droit de l’homme. Quoi ? Le
Château ouvrit la cage de deux perroquets qui s’envolèrent pour gazouiller le
même couplet. MM. de Minc et de Guaino usèrent de la même comparaison avec
les mêmes mots : « On peut couper l’eau et l’électricité à n’importe
qui très facilement, mais l’accès au réseau des écrans électroniques, on ne
saurait y toucher ? » La récitation des deux perroquets reposait sur
des fausses informations ; en vertu de l’article L. 115-3 du code de
l’action sociale et des familles, il était très difficile de couper l’eau et l’électricité
aux mauvais payeurs dans le besoin.
Ce fut la pagaille. Sa Majesté Grandiose réussit à retourner
une part du monde culturel en sa faveur. Jusque-là compagnons du Parti social,
des comédiens, des musiciens, des hommes de tréteaux ou de plume,
Mme Gréco, s’écartèrent de la Gauche. Le Souverain triomphait en
sourdine : « Y va s’passer du temps avant qu’les artistes soutiennent
à nouveau la Gauche ! » La bizarre transhumance ne fut point aussi
complète que Notre Confondant Seigneur l’eût souhaitée. Les plus de soixante
ans, qui n’avaient pas vu le monde changer autour d’eux, se prosternaient
devant la déesse Hadopi, certes, et ils n’étaient pas les moins renommés, mais
les plus jeunes, mieux au fait des techniques modernes, expliquaient qu’il
fallait plutôt inventer une façon neuve de percevoir leur dû. Sa Majesté
divisait à loisir un monde culturel sans boussole, cependant, ce qu’on piratait
sur les écrans n’était pas gratuit pour tous, quelques-uns y gagnaient gros,
ceux qui fournissaient l’accès à cette électronicaillerie ; ils pouvaient
à leur gré couper l’image et le son aux abonnés qui oubliaient de les payer…
Laissant à d’autres ces arguties, Sa Majesté prolongea son
travail de sape en s’introduisant dans une gazette connue pour son engagement
du côté de la Gauche. Prendre pied chez l’adversaire pour s’y montrer calme et
modeste, voilà ce qui lui permettait d’étendre son terrain de chasse, quitte à
récupérer des électeurs puisque ses fidèles râlaient de plus en plus souvent.
Un samedi, le Premier valet de chambre du Prince, M. de Louvrier, prit un
contact avec le patron de cette gazette pour lui proposer ce débat exclusif.
Pour l’échotier chatouillé, le mot exclusif fut magique ; il
convint aussitôt d’un rendez-vous avec le Prince Olympien, ce fut le lendemain
dimanche à cinq heures du soir, au Château. Il s’y rendit avec son directeur
favori, sans aucunement prévenir ses autres équipiers qui durent avaler un fait
déjà accompli. Qu’en était-il ? Ainsi qu’à son ordinaire, Sa Majesté avait
un lot de réponses qui n’appelaient point de questions, et on s’en rendit
compte dès le début de l’interminable tartine :
— Pourquoi, Sire, avoir choisi notre feuille, si
critique à votre endroit, pour vous exprimer ?
— Parce que vous me l’avez proposé, répondit Notre
Rusé.
Saurait-on jamais d’où vint la réelle décision ? De
quel valet de chambre ordinaire ou honoraire, sous les ordres de M. de
Louvrier, arriva l’idée ? Était-ce de Madame ? On savait l’antique
intimité du gazetier avec elle, qu’il avait connue comtesse Bruni. Le texte
publié, chargé de tiédeur et de complaisance, ressembla à un pensum ;
aucune question gênante ne fut improvisée, aucune réplique ne s’imposa, ne
fût-ce que pour rétablir une vérité malmenée. Notre Prodige Intense put en
parfaite quiétude peaufiner sa nouvelle statue de Monarque Serein. Il caressa
au passage d’autres publicistes de la Gauche, regrettant d’avoir moqué l’un,
saluant le dernier ouvrage de l’autre, se pardonnant à lui-même des écarts de
comportement pour conclure avec une humilité exquise : « Il faut un
temps pour se hisser à la hauteur d’une charge qui est, j’vous prie d’croire,
proprement
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