Tsippora
peut-être bien dans tout Madiân,
femme plus belle. Et certainement aucune femme plus fière de ce don d’Horeb.
Des prétendants avaient écrit de longs
poèmes sur la splendeur de ses yeux, la grâce de sa bouche, l’élégance de son
cou. Des chansons de bergers, sans oser prononcer son nom, vantaient ses seins
et ses hanches, les comparaient à des fruits fabuleux, des animaux inouïs, des
sortilèges de déesse. Orma goûtait cette gloire avec une ivresse qui ne
s’éteignait jamais. Cependant, elle semblait vouloir se satisfaire du feu
qu’elle répandait. Nul homme encore n’avait su lever en elle un intérêt plus
grand que celui qu’elle avait pour elle-même. Au grand désespoir de Jethro, qui
la voyait soigner ses robes, son maquillage et ses bijoux comme si rien de plus
précieux n’existait au monde, et qui ne parvenait pas à en faire une épouse,
une mère. Malgré tout l’amour qu’il lui portait, à elle, la fille cadette de
son sang, certains soirs il ne pouvait retenir de dures paroles, lui qui
rarement perdait son calme :
— Orma est pareille au vent du désert,
tonnait-il en présence de Tsippora. Elle souffle dans un sens puis dans
l’autre, gonfle les baudruches pour les faire claquer dans l’air. Son esprit
est un coffre vide. Même la poussière de la mémoire ne s’y entasse pas !
Sans doute est-elle plus belle de jour en jour, un joyau dont je me demande si
Horeb, dans sa colère, ne veut pas faire mon épreuve et mon fardeau.
Tsippora protestait avec douceur :
— Tu es sévère. Orma sait très bien ce
qu’elle veut et a beaucoup de volonté, mais elle est jeune.
— Elle a trois années de plus que toi,
répliquait Jethro. Il serait temps qu’Orma se soucie moins de faner et plus de
fructifier !
De fait, les candidats au mariage n’avaient
pas manqué. Mais Jethro, ayant promis à Orma qu’il ne choisirait jamais son
époux sans son consentement, attendait, comme les prétendants. Désormais de
nouveaux poèmes se chantaient à travers le pays de Madiân, assurant que la
belle Orma, fille du sage Jethro, était née pour briser les cœurs les plus durs
et que bientôt, intacte et aussi vierge qu’au jour de sa naissance, Horeb la
transformerait en une superbe roche de sa montagne que seul le vent
caresserait. Et c’était ainsi que Réba avait décidé de relever le défi, venant
s’incliner devant Jethro avec l’impatience d’un chef de guerre avant l’assaut.
Nul ne doutait que cette ténacité dût recevoir sa récompense.
— Cette fois, reprit Sefoba, il serait
temps que tu te décides, petite sœur.
— Et pourquoi ?
— Parce que Réba le mérite !
— Pas plus lui qu’un autre.
— Allons donc ! Quel autre homme
lui préférerais-tu ? s’enflamma Sefoba sans plus plaisanter. Il a tout
pour plaire.
— Pour plaire à une femme
ordinaire !
— Pour te plaire, princesse. Tu veux
un homme digne de ta beauté ? Demande à chacune d’entre nous, les vieilles
comme les jeunes. Réba est le plus bel homme que l’on puisse vouloir
câliner : long et mince, une peau couleur de datte fraîche et des fesses
bien dures !
Orma gloussa :
— C’est vrai.
— Tu veux un homme puissant et
riche ? poursuivit Sefoba. Bientôt, il sera roi à la place de son père. Il
possédera les pâturages les plus fertiles et des caravanes si riches qu’elles
joignent le levant au couchant. Tu auras autant de servantes que de jours dans
l’année, il te nourrira d’or et de tissus d’Orient !
— Pour qui me prends-tu ? Devenir
l’épouse d’un homme parce qu’il possède d’imposantes caravanes, quel ennui !
— On raconte que Réba peut demeurer
une semaine sur la bosse d’un chameau sans se fatiguer. Sais-tu ce que cela
signifie ?
— Je ne suis pas une chamelle, je n’ai
pas besoin, comme toi, de me faire chevaucher chaque nuit en poussant des
glapissements qui empêchent les autres de dormir !
Les joues rondes de Sefoba s’empourprèrent.
— Cela, tu ne le sais pas
encore !
Mais comme les rires s’amplifiaient, elle
ajouta crânement :
— C’est vrai, lorsque mon époux n’est
pas à courir derrière les troupeaux, chaque nuit il me mange ! Car moi, je
n’ai pas le cœur sec d’Orma, j’ai du bonheur à le rassasier. Ce qui, nuit après
nuit, acheva-t-elle en riant à son tour, n’est pas aussi facile que de rallumer
le feu pour les galettes !
— Le fait est que les saisons passent,
intervint
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